Zéro
L’économie de demain ne peut se développer que si l’on intègre le prix des dégradations et des prélèvements, en face de la croissance de l’activité. Dans cette perspective, l’objectif écologique « zéro pollution » devient un objectif économique.
Nous allons parler ici de croissance zéro. Mais pas la croissance économique, celle des agressions que nous faisons subir tous les jours à notre environnement. Croissance zéro pour les pollutions, en attendant zéro pollution tout simplement. Malgré les nombreux cris d'alarme, pendant la crise, la dégradation se poursuit.
L'environnement, ça suffit a-t-on entendu dire les plus hautes autorités de l'État. Il s'agit en effet de produire plus, toujours plus sans se préoccuper des effets secondaires. La production, c'est de l'emploi et c’est du PIB, tant pis si les solutions d'aujourd'hui sont les problèmes de demain. Ne parlons pas de règle d'or dans ces condition.
C’est que les pollutions coûtent cher. Nous sommes impressionnés par la croissance à deux chiffres de la Chine, mais une étude récente montre que le coût des agressions sur l'environnement et de la dégradation du patrimoine naturel y serait chaque année de l'ordre de 9 % du PIB(1). En France, pour ne prendre qu'un exemple, les pollutions d'origine agricole ont dégradé la qualité de l'eau au robinet : 2 millions de foyers sont, dit-on, desservis avec de l'eau dont la teneur en nitrates et autres pesticides dépasse les Limites autorisées. Notre ressource en eau se dégrade, ce qui signifie qu'il faut chercher l'eau douce toujours plus loin ou plus profond, ou encore qu'il faut la traiter avec des moyens de plus en plus sophistiqués et de plus en plus onéreux. C'est la collectivité qui paye, chacun de nous, dans le prix de l'eau. Les excédents de produits répandus par l’agriculture donnent aussi des marées vertes, avec des algues nocives, mauvaises pour la pêche, les coquillages et le tourisme, sans parler de la richesse biologique. La productivité de la mer se constitue essentiellement sur les côtes, et la dégradation de la qualité biologique des eaux littorales se traduit inévitablement par une réduction de la ressource halieutique. Opportunément hors bilan !
Tant que notre comptabilité restera indifférente aux coûts des prélèvements et de la dégradation du capital productif, la logique économique nous éloigne de l'objectif « zéro » agression. Il n'y a alors que la réglementation qui puisse nous y conduire, une réglementation internationale dans bien des cas. Le Grenelle de l'environnement avait affiché un objectif de réduction de moitié des émissions de produits phytosanitaires dans les prochaines années. Un changement de cap intéressant, même si on pouvait espérer mieux. Mais tiendrons-nous cet engagement ? Il est permis d'en douter à la lecture d'une circulaire récente du ministèrede l'agriculture, datée du 5 mars 2012, qui facilite la pratique de l'épandage aérien (par hélicoptère) des pesticides. Cet épandage est interdit mais il y a de nombreuses exceptions, et la liste de ces exceptions vient d'être étendue.
Ce type de décision va à l'encontre du sens de l’histoire. Il s'agit manifestement de gagner du temps, de tirer encore sur les vieilles pratiques avant qu’elles ne soient interdites. Nous ne pourrons plus longtemps nous permettre la schizophrénie qui consiste à polluer allègrement d'un côté, et de l'autre, à entonner officiellement le discours de la sagesse écologique. Le tout sur fond de crise des finances publiques, où la lutte contre les pollutions pèse de plus en plus lourd.
Cette course au "modernisme" d'un autre âge, n’est pas, heureusement, la règle générale. De nombreuses collectivités, sur le territoire, ont engagé une véritable démarche de progrès vers le zéro produit phytosanitaire. De nombreuses villes ont d'ores et déjà décidé l'abandon de ces produits. Cela implique des changements profonds dans les pratiques des services municipaux, une formation adaptée de leurs jardiniers, et aussi un effort d'explication et d'information vis-à-vis des populations. Moins de produits, ou même pas de produits phytosanitaires du tout, cela signifie des herbes folles ici et là, d'autant que l'on essaye par ailleurs de réduire les coupes d'herbes, pour favoriser la richesse biologique, même en ville. Le paysage va un peu changer, les papillons vont revenir et même parfois les abeilles si l'on installe quelques ruches. La vie sauvage urbaine, ce ne sont pas que les oiseaux, il va falloir s'y habituer. Un accompagnement est à ce titre nécessaire.
Parmi toutes les villes qui se sont engagées dans cette voie, citons les Herbiers, en Vendée. Un nom prédestiné, bien sûr. Une ville de 15 500 habitants, qui, il y a 3 ans, a fait le choix d’éradiquer les produits phytosanitaires (désherbants, fongicides, pesticides…) pour l’entretien de ses espaces publics : trottoirs, parcs, massifs, placettes… Une décision radicale prise par la collectivité pour reconquérir la qualité de l’eau, préserver la santé de ses habitants et la biodiversité, selon le communiqué qu'elle publie en lançant une campagne d'information. L'objectif est d'entraîner l'ensemble de la population de la ville, bien au-delà des seules pratiques municipales. Car chacun dans son jardin, sur son balcon, fait usage de ces produits dans l'espoir d'obtenir une plus belle pelouse, de plus belles fleurs ou de plus beaux fruits. La campagne d'information donne le ton : 1 gramme de matière active de pesticide suffit à polluer un cours d’eau sur 10 km (source : DRAFF) ; UN SEUL bidon de désherbant de 500 g, acheté dans le commerce, peut polluer les 5 millions de m3 d’eau du bassin de la Bultière, où se déversent les eaux des Herbiers, et qui alimente en eau potable tout le nord-est de la Vendée. Au-delà du volet environnemental, l'équation économique apparaît immédiatement : il n'y a qu'à comparer le prix de ce fameux bidon de désherbant à celui du traitement de l'eau pour alimenter le nord-est de la Vendée.
Quand il s'agit de pollution, la recherche du zéro s’impose à l'évidence. Polluer et compenser, ou bien polluer et dépolluer, relève de la logique du sapeur Camember, qui creusait des trous pour en boucher d'autres. Cela fait peut-être de l'activité, mais certainement pas de la création nette de richesse, ce qui doit être le but de l'économie. Ecologie et économie, même combat.
1 - The World Bank & Development Research Center of the State Council, the People’s Republic of China, China 2030, Building a Modern, Harmonious, and Creative High-Income Society , 2012
Chronique mise en ligne le 8 avril 2012
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