Vandales
La révision de l’éclairage des routes est le produit direct d’actes de vandalisme. Dans le domaine de la finance, le vandalisme des marchés permettra-t-il les transformations économiques et institutionnelles que le conservatisme et la crainte du lendemain rendent si difficiles ?
Les vandales de l’autoroute A15 nous ont bien éclairés. En prélevant le cuivre des installations électriques, ils ont plongé dans le noir les automobilistes de ce tronçon d’autoroute depuis 2007. Il aurait du y avoir plus d’Accidents, mais c’est le contraire qui a été observé : il y en a Moins, et ils sont moins graves. Cette expérience en vraie grandeur permet aujourd’hui de décider la suppression progressive de l’Eclairage de 130 km de Routes en Ile de France. Une économie immédiate de consommation. Rendue possible grâce à l’intervention de vandales, celle-ci aurait pu être mise en application depuis longtemps, si la logique de la Qualité du service rendu l’avait emporté sur celle du Volume d’activité. La gestion différenciée, initiée pour les espaces verts, est source d’importantes Economies, tout en donnant du Relief aux espaces, en accentuant et en valorisant leurs spécificités. Pourquoi tondre ras toutes les pelouses, dans les Jardins de prestige comme dans les terrains de Jeu ou les délaissés? Pourquoi éclairer les voiries de manière uniforme, alors que les attentes et les comportements des usagers peuvent varier fortement, et que chaque lieu demande sa propre approche de la Lumière ?
Il faudra accepter cette différenciation, car nous nous sommes vite habitués au niveau de service maximum et partout. Revenir sur cette idée apparait pour certains comme une régression, une marque d’appauvrissement. C’est comme les Herbes folles au pied des arbres, hier encore chassées en permanence, et aujourd’hui favorisées par la réduction ou l’abandon de produits herbicides. Revoilà des grandes herbes, et avec elles une faune oubliée, papillons et autres insectes, et même des abeilles, quand les Villes accueillent des ruches.
Le « service maximum partout » est une mauvaise conception de la Richesse. La banalisation de la performance, c’est en premier lieu la voie royale pour l’uniformité, dont chacun sait qu’elle est la mère de l’ennui. Ce n’est pas son seul défaut. Outre son Prix élevé, elle évite de se poser la question de l’optimisation, et de concentrer l’effort sur une Analyse fine des besoins. C’est une forme de vandalisme à rebours, un gâchis provoqué par une absence de discernement. Ce n’est pas la destruction d’équipements, mais leur usage immodéré qui provoque alors l’appauvrissement. Au moment où il faut faire des économies, sachons choisir celles qui ne nous privent pas, et même parfois nous font découvrir de nouveaux Plaisirs.
La frustration reste grande, toutefois, de ne pas utiliser les luminaires installés à grands frais. Economie d’électricité, bien sûr, mais laisser éteintes les nombreuses installations, ça fait désordre. On aurait du y penser plus tôt, et comme on ne construira plus beaucoup d’autoroutes, c’est un peu tard pour y changer de Politique ! Il est vrai que le sentiment de gâchis accompagne ce type de décision, mais il vaut mieux arrêter les frais que d’aller jusqu’au bout d’une erreur, juste pour rester logique.
On s’est sans doute trompé d’équipements, mais on aurait tort d’abandonner pour autant toute réflexion sur les matériels. On en fabrique aujourd’hui de très performants, qui consomment bien moins d’électricité que les Générations précédentes. Là où l'éclairage est maintenu, il faudrait remplacer progressivement tous les vieux lampadaires, voilà une autre source d’économies. Et puis il y a des formules fines de régulation, d’adaptation en continu du niveau d’éclairement aux besoins réels. La modulation, voilà une bonne réponse, qui demande à la fois beaucoup de technicité et d’observation des comportements. De la matière grise, du savoir faire et de l’Intelligence, plutôt que de la production massive et la consommation qui en résulte. C’est plus durable que le matraquage ininterrompu d’une lumière uniformément intense.
Le vandalisme crée des situations exceptionnelles que l’on a tout intérêt à exploiter. Il est aussi un Symptôme révélateur de maux sociaux ou économiques. Il faut lutter contre la fièvre, la faire baisser pour éviter ses effets propres, mais il faut aussi se pencher sur les causes qui l’ont provoquée. Il est banal de citer le cas des Quartiers, souvent isolés du reste de la ville, assemblage de logements uniformes qui ne constituent pas une vraie ville, avec les attraits et la richesse relationnelle qui y apporterait la Paix sociale. Aujourd’hui, c’est plutôt le vandalisme des marchés dont il faudrait parler, avec ses prédateurs prêts à exploiter la moindre faille dans les Systèmes économiques. Il y a à l’évidence des comportements coupables, contre lesquels il faut lutter, avec des instruments institutionnels ou financiers. Ce vandalisme met aussi l’accent sur des faiblesses, des incohérences dans le fonctionnement des économies. Une croissance purement quantitative, orientée exclusivement vers l’augmentation du volume d’activité sans évaluation au filtre du service rendu réellement, de la satisfaction des populations, de leur Qualité de vie.
Nos économies ont entrepris une mutation, absolument incontournable, mais qui présente inévitablement des Risques. Sortir d’une simple croissance quantitative, fortement consommatrice de ressources naturelles, peu soucieuse d’efficacité et de rendement matière, pour adopter une autre forme de croissance, assurant à la fois le bien être des hommes et la maîtrise des prélèvements dans l’environnement, le respect de la planète. C’est le sens des missions confiées à la commission Stiglitz et au Conseil économique, social et environnemental que de proposer d’autres instruments de mesure de notre efficacité et du « progrès ». La vieille Europe est au pied du Mur, et ses hésitations ouvrent aux spéculateurs un large champ pour leurs attaques. La Rigueur inscrite dans de vieux schémas ne peut que produire de la récession et de l’austérité. C’est en changeant d’orientation et de contenu qu’une croissance revisitée peut prendre corps.« Il sera plus facile de consacrer notre intelligence et nos efforts à l’amélioration de la qualité de la vie, lorsque nous cesserons d’être obsédés par la croissance qualitative. Finalement, c’est la notion même de progrès qu’il nous faut reconsidérer » disait René Dubos (1). Les vandales des marchés nous y conduiront-ils ?
1 - Les dieux de l’écologie, Fayard, 1973
Chronique mise en ligne le 16 mai 2010
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