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Progrès et Innovation

Tension



Il y a beaucoup de monde aujourd'hui au chevet de la planète, pour lui prendre sa tension. Elle va mal, c'est vrai, mais elle a toutes les chances de survivre à l'humanité, même si sa température atteint des niveaux très élevés. Elle changera, ses habitants avec elle, mais elle sera encore là dans quelques millions d'années. On associe souvent le développement durable à la planète, mais en réalité c'est au genre humain qu'il faut le faire en premier. Celui-ci ne peut vivre sans une planète accueillante, riche et productive, il dépend de la planète, mais l'inverse n'est pas vrai. C'est la tension du genre humain qu'il faudrait prendre.

Tension, un terme courant de la physique et de la médecine, qui fait référence à des écarts, des différences, eux-mêmes à la source de flux et d'énergie. En premier lieu, le système solaire est fondé sur un ensemble de tensions. Galilée et Newton peuvent nous en parler savamment. Ces tensions sont bénéfiques, quand elles apportent le vent et la pluie, mais il arrive qu'elles se dérèglent, qu'elles se déchaînent, même, et ce sont les ouragans, les tremblements de terre, la foudre. L'énergie, la planète en a à revendre, mais la difficulté est bien de la domestiquer. L'humanité vit depuis toujours au coeur de ces tensions, elle en a fait un panthéon, où chaque dieu représente une force qu'il s'agit d'apprivoiser, et de mettre en équilibre avec les autres. Car la tension a besoin d'équilibre pour procurer de la richesse.

Mis en tension, aucun élément ne peut être considéré isolément, ce sont les systèmes qu'il convient d'analyser, ce qui nous replonge bien dans l'univers du développement durable. Tout élément doit être examiné en relatif, par rapport à d'autres. Toute logique poussée à l'infini conduit à la folie, dit-on. En essayant de comprendre les tensions au sein desquelles nous vivons et développons nos activités, on échappe à l'attraction totalitaire d'une force unique.

Le phénomène de tension se manifeste de mille manières. Entre aujourd'hui et demain, par exemple. Le développement durable commence aujourd'hui, il n'est pas réservé aux générations futures. Comment arbitrer entre les intérêts immédiats et ceux de nos descendants ? La question de la pêche offre une excellente illustration de cette tension. En voulant protéger les poissons, on condamne les pêcheurs, nous disent ces derniers, qui prétendent qu'on sacrifie les hommes au profit des poissons. En réalité, chacun voit qu'il s'agit d'une tension entre les besoins immédiats d'une profession et la survie de la ressource pour demain ; on ne choisit pas entre les hommes et le poisson, mais entre aujourd'hui et demain. On trouve un débat analogue autour du rapport de Nicholas Stern, l'économiste britannique auteur d'un rapport récent sur l'économie du changement climatique. La querelle entre économistes porte notamment sur le taux d'actualisation retenu dans cette étude. Justement, ce taux représente un arbitrage entre la présent et le futur, et il a semblé à Nicholas Stern que pour les ressources primaires, il ne fallait pas faire de différence entre les Hommes d'aujourd'hui et ceux de demain.

Autre exemple de tension bien connue : entre le confort et les économies d'énergie. Entre le souhait du consommateur individuel et les intérêts du citoyen du Monde. Pour surmonter ces contradictions, il faut notamment faire appel à l'innovation. L'objectif est alors de repousser toujours plus loin le moment où il faudra choisir, arbitrer, et abandonner une valeur au profit d'une autre. Revenons à la pêche : peut-on faire baisser la tension en travaillant sur la ressource, et en favorisant la reproduction du poisson, grâce à des milieux marins revigorés par une gestion rigoureuse du littoral et la lutte contre les pollutions qui se déversent dans les océans ? Peut-on promouvoir efficacement des techniques de pêche moins pénalisantes, plus sélectives, qui épargne la biomasse et limite le prélèvement au strict nécessaire ? Pour les bâtiments, peut-on accentuer les efforts sur l'isolation, les énergies renouvelables, les techniques de récupération de chaleur, de stockage d'énergie ?

L'actualité nous renvoie aux tensions, de plus en plus fortes, sur les matières premières et l'énergie. La réponse serait dans la dématérialisation de l'économie. Très bien, mais c'est grâce à des prélèvements de matières premières et d'énergie que l'on a pu augmenter de manière phénoménale la productivité du travail humain, et par suite le niveau de consommation matérielle de larges parties de l'humanité. Se donner la dématérialisation comme unique objectif conduirait à revenir sur ces acquis, qui sont pour beaucoup de véritables progrès si on les élague de nombreux excès. L'objectif de diviser par quatre les consommations matérielles, ce que l'on appelle le facteur 4, conduit à changer un dénominateur dans les calculs de rendement. On le mesure alors par rapport aux ressources naturelles, et non plus par rapport à la quantité de travail humain. C'est une sorte de retour aux sources. Pendant longtemps, l'économie de subsistance conduisait à privilégier le rendement du milieu, indépendamment de la quantité de travail humain nécessaire. Le moindre arpent de terre était cultivé, on ne comptait pas les heures. On a par la suite accordé plus de valeur au travail humain, que l'on a ménagé. Les avancées sociales ont conduit à retenir comme critère dominant la production par tête, c'est à dire le rendement calculé par rapport au travail, et non pas à l'hectare. Le rendement, c'est à dire le service rendu par rapport à l'effort consenti, pourrait se calculer en référence à chacun des quatre capitaux qui constituent notre richesse. Contentons-nous de le calculer en fonction des capitaux humains et naturels. On a au moins deux types de rendement à faire coexister, et il n'est pas possible d'en sacrifier au profit de l'autre. Encore une tension particulière à assumer. Heureusement qu'il y a la « bonne gouvernance » !

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