Synthèse
Prenons le mot au sens de motion de synthèse, tentative souvent héroïque de rapprocher des discours divergents. Malgré un numéro de la Tribune (du 24 octobre 2007) consacré à la Croissance verte, l’inquiétude reste grande sur les dépenses prévues au Grenelle de l’environnement. TGV et autoroutes ferroviaires, tramways et voitures propres, villes nouvelles écologiques et amélioration massive de l’habitat, avantages fiscaux en tous genres et vignettes converties en pastilles, l’addition est salée. Qui va payer ? On pourrait botter en touche, et répondre par une autre question : combien coûtent aujourd’hui les dégradations de l’environnement et qui paye ? La pollution de l’eau, des sols, le bruit, la dénaturation des paysages, les erreurs manifestes d’urbanisme qui entraînent des dépenses considérables à la fois pour les communes et pour les habitants, voilà des coûts supportés par un grand nombre d’acteurs économiques, souvent les particuliers, les ménages comme on dit en bon économiste, ce qui réduit d’autant leur pouvoir d’achat ou encore leur capacité à produire : le temps passé dans les transports quotidiens n’est pas le plus productif ! Voilà qui nous amène à rapprocher le Grenelle des travaux d’autres groupes mobilisés en ce début de quinquennat pour dessiner l’avenir de notre société, et plus particulièrement la Commission pour la libération de la croissance française, dite commission Attali du nom de son président, et la commission Energie du Centre d’analyse stratégique, présidée par Jean Syrota. Trois documents publiés à un mois d’intervalle, de logiques et de statuts différents, certains encore partiels, mais qui s’interpellent mutuellement, parfois avec force. Il y a bien sûr des divergences, des analyses et des réponses différentes, voire opposées, mais il est frappant de trouver dans les documents aujourd’hui disponibles quelques réflexions communes, et des pistes de progrès susceptibles de recueillir une large adhésion.
Même les divergences sont fécondes. La suppression de nombreuses barrières et du principe de précaution, préconisées par la commission Attali oblige à se poser la question de l’intérêt de ces contraintes, dont certaines sont sans doute des restes de réglementations obsolètes, pour revisiter et renforcer celles que l’on conserve, comme le principe de précaution dont le sens et la portée ont été recadrés par le président de la République dans son discours de clôture du Grenelle. Les garde-fous ne sont pas là pour freiner, mais pour sécuriser des progressions dans des territoires à risques. De même, est apparu le besoin de compléter la comptabilité nationale d’indicateurs diversifiés, au lieu du PIB et de la famille des agrégats qui ne comptabilisent que le volume d’activité, et n’offrent pas un bilan intégrant la consommation de ressources et la création d’utilités sociales. Pour définir des objectifs de croissance, il faut savoir par rapport à quoi, et comment le mesurer. La question des indicateurs, des prix carbone ou prix écologique, ont été omniprésents au Grenelle, et la réponse ou plutôt les réponses seraient bien utiles pour éclairer les travaux de la commission réunie pour libérer la croissance.
Une autre divergence concerne le facteur 4. Manifestement, Jean Syrota ne parierait pas un centime sur la réussite de l’exploit qui consiste à diviser par quatre nos émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050, alors que tous les efforts du Grenelle y tendent. C’est que les hauts fonctionnaires ont du mal à voir l’avenir sans une intervention massive de l’Etat, acteur n°1, alors que le succès face à un défi de cet ordre ne peut venir que d’une mobilisation de l’ensemble de la société. Là encore, la réponse est intéressante, car le Grenelle a engendré un nouveau mode de travail entre partenaires, une nouvelle gouvernance, qui ne suffira peut-être pas, mais qui préfigure le cadre des collaborations nécessaires pour relever les défis qui nous attendent.
Au chapitre des convergences, notons deux aspects très importants, qui concernent plutôt la philosophie à adopter pour progresser, mais qui trouvent aussi des traductions concrètes.
Tout d’abord la modestie et la persévérance. Il faut la combinaison de mesures de natures complètement différentes pour faire émerger sur la durée une amélioration de la situation, peut-on lire dans le rapport Energie, qui en déduit qu’il faudra sans doute devant l’ampleur des changements envisagés, concevoir des modes nouveaux de prise de décision et de conciliation des intérêts. Cette conclusion aurait pu tout aussi bien figurer au Grenelle, qui y répond en proposant de pérenniser l’approche à cinq, mise en œuvre tout au long du processus : collectivités territoriales, ONG, patronat, syndicats, Etat. Personne ne détient la vérité à soi tout seul, on le savait, mais il est bon que ce soit affirmé et intégré dans les politiques publiques.
Une autre convergence porte sur la nécessité d’innover. La recherche et l’expérimentation sont des conditions essentielles du succès. Un thème fort apparait dans les trois rapports, l’habitat. Il s’agit de mettre la politique du territoire et du logement au service de la croissance, avec notamment l’amélioration de la qualité de l’habitat comme objectif. Un objectif aussi souligné par le rapport Energie et déclinée finement dans les conclusions du Grenelle. Travaux de rénovation du parc existant, densité plancher en certains endroits et villes nouvelles écologiques sont au cœur des propositions, pour créer la dynamique nécessaire à une action massive. Le Grenelle propose d’engager un plan volontariste d’éco-quartiers impulsé par les collectivités territoriales : au moins un éco-quartier avant 2012 (en continuité avec l’existant et intégré dans l’aménagement d’ensemble) dans toutes les communes qui ont des programmes de développement de l’habitat significatif et une quinzaine de grands projets d’innovation énergétique, architecturale et sociale, tandis que la libération de la croissance se fera en créant avant 2012 dix Ecopolis, villes d’au moins 50.000 habitants intégrant haute qualité environnementale et nouvelles technologies de communication.
C’est bien dans la dynamique que les divergences s’estompent. Trois approches, trois logiques, trois modes de rédaction bien différents, mais des confrontations productives et des orientations communes : voilà un bel exercice de développement durable.
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