Renard
Il arrive souvent que les pouvoirs publics mettent en place des politiques contraires aux objectifs poursuivis. Sortir des contradictions « par le haut », comme le demande le développement durable, passe notamment par la recherche de ces stratégies elles-mêmes contradictoires. L’exemple des renards et de la rage est à ce titre instructif.
Il y a quelques années, la rage avait envahi une bonne partie de la France. On luttait dur, pourtant, pour enrayer cette extension du fléau. Les renards étaient les premiers accusés : ce sont eux les vecteurs du virus, il faut les éliminer.
Ainsi fut fait pendant des années. Chasse impitoyable pour exterminer les renards des zones frontières des territoires contaminés. Tant pis si on mettait à mal des équilibres écologiques, si les proies traditionnelles des renards pouvaient pulluler tranquillement, elles-mêmes d’ailleurs porteuses de la rage.
Jusqu’au Jour où on s’est aperçu qu’on faisait fausse Route : les actions engagées aidaient à la propagation de la rage, au lieu de la freiner. En réduisant la densité de renards dans les zones sensibles, on favorisait la pénétration de renards venus d’ailleurs, et bien sûr des régions contaminées. La stratégie de lutte retenue allait à l’encontre du résultat recherché. A l’inverse, une population dense de renards sains protège son territoire, et empêche les intrus de s’y installer. Ajoutons qu’ils font le ménage chez les petits rongeurs et autres animaux susceptibles, eux aussi, de propager la maladie.
C’est en 1986 que l’on a fait volte face. Il faut à la fois garder les renards sur place et les conserver en bonne Santé. Au lieu de les tuer ou d’inciter à les tuer, avec des primes à la queue rapportée notamment, on va les vacciner. Changement de cap radical, nouvelle Politique fondée sur des Moyens nouveaux. Des appâts contenant du vaccin sont répandus massivement dans les zones sensibles. Petit à petit, le nombre de départements réputés infectés a diminué, et au bout d’une quinzaine d’années, en 2001, les autorités sanitaires ont déclaré que tous les départements français étaient indemnes.
Ce résultat spectaculaire, rarement mis en avant, est riche d’enseignements : pendant des dizaines d’années, on avait suivi une mauvaise Ligne de conduite. Une mauvaise Analyse de la situation et des mécanismes de diffusion de la maladie s’était traduite par un massacre bien inutile, avec des conséquences sur les écosystèmes, sans empêcher la progression du mal. Tel était l’effet d’un aveuglement doctrinaire.
Ces Choix contre productifs ne sont pas exceptionnels. Aujourd’hui, on fait confiance à la concurrence pour faire baisser les Prix. Ça peut effectivement donner de bons résultats dans de nombreux domaines, là où les Compétences et le Talent des hommes font la différence. L’émulation provoque la recherche et la mise en œuvre de solutions innovantes, Sources d’Economies. La concurrence se révèle ainsi un bon moteur de Progrès, mais peut-on la généraliser à tous les domaines ? Quand il s’agit de l’exploitation des Ressources naturelles, ne conduit-elle pas à des impasses, susceptibles de ruiner les économies ?
Ces ressources sont limitées, soit en quantité globale ou accessibles, soit du fait d’un rythme de renouvellement des stocks, soit encore du fait des conséquences négatives de leur utilisation : Ressources minières proches de l’épuisement, Populations de Poissons en danger d’extinction du fait d’une surpêche, ou effet de serre consécutif à l’utilisation de combustibles fossiles. La concurrence pousse chaque opérateur à élargir sa part de marché, et à accroitre par tous les moyens ses capacités de prélèvement, alors qu’il faudrait maitriser le Volume global prélevé. La logique des acteurs va à l’encontre de la logique du Système global. On s’engouffre dans l’impasse avec détermination. Certains disent qu’on fonce dans le Mur, et qu’on accélère !
Maître Renard nous dit bien, pourtant, qu’il faut raison garder. Il nous dit aussi que l’on peut obtenir des résultats spectaculaires si on sait changer de cap. Une politique a priori logique peut conduire au résultat inverse de celui recherché. L’important n’est pas la ressource, mais ce que l’on fait avec, le service qu’elle rend. La concurrence pour stimuler la créativité et la performance n’a pas de sens si elle pousse à cette accélération « vers le mur ». Elle en a, bien au contraire, si elle est mise au service de la valorisation des ressources. Tirer plus de Profit pour la société de ressources par nature limitées. Plus de bien-être et de Qualité de vie avec des Prélèvements maîtrisés. Comme pour des renards, un changement radical de stratégie est nécessaire. Au lieu de mettre du poison dans les appâts, on y a mis du vaccin. Transposons ce retournement dans l’exploitation des ressources naturelles.
Il s’agit donc de choisir le domaine où la concurrence s’exerce. Abandonnons l’exploitation des ressources, où des formes adaptées de progrès doivent être trouvées, cap sur leur valorisation.
Chronique mise en ligne le 6 juin 2012
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