Permis
Le développement durable fait fortement appel à la créativité de tous, individuellement et collectivement. Comment y parvenir dans un univers marqué par quantité de permis ?
En matière de développement durable, on pense sans doute d’abord aux permis d’émission négociables, mais il y a aussi beaucoup à dire du permis de construire, et du permis de conduire, dont on parle abondamment aujourd’hui du fait de la remontée du nombre de tués sur les routes. Et il faudrait aussi parler des permis de chasser et de pêcher et sans doute bien d’autres encore. Le mot « permis » est l’exception à la règle selon laquelle tout ce qui n’est pas interdit est autorisé : quand il est utilisé, c’est que ce qui n’est pas permis explicitement est interdit.
Beaucoup de domaines régis par un seul mot, le permis d’émissions négociables, souvent appelé droit à polluer, étant à part dans cette famille. Les points du permis de conduire sont non négociables, du moins sur un marché officiel. Un marché, c’est justement la raison d’être des permis d’émission négociables, un marché qui concerne les rejets alors que les marchés habituels sont consacrés aux ressources. Un marché destiné à orienter les efforts sur les secteurs ou les progrès sont les plus rapides et faciles à atteindre. C’est toujours ça de gagné et ça crée des dynamiques, alors que les taxations uniformes ne savent pas viser les opportunités. Ces permis illustrent le besoin de nouveaux instruments économiques pour le développement durable. Leur mise au point est délicate. Le système a bien fonctionné dans des domaines bien balisés, il reste à le faire changer d’échelle pour les gaz à effet de serre. Saluons les efforts des institutions qui s’y emploient, ce n’est pas une tâche facile.
Le permis de construire est d’une autre nature. Il se situe à la charnière entre deux échelles, une position stratégique. D’un côté une construction, neuve ou à modifier, avec les intérêts de son propriétaire, de l’autre une vie locale à animer, avec un patrimoine à valoriser, des attentes et des modes de vie, des activités, des paysages, des services publics. Pas facile non plus, et une voie étroite entre des prescriptions dictée par une recherche d’harmonie et de cohérence d’un côté, et de l’autre la liberté nécessaire pour que chacun satisfasse ses besoins et exprime sa créativité. Une réforme du droit de l’urbanisme est actuellement en débat pour trouver le point d’équilibre. Ce n’est pas qu’une question de droit, mais de qualité du dialogue entre les acteurs. Au-delà du code, il y a le facteur humain. Un travail de longue haleine, basé sur la confiance et l’écoute réciproque.
L’actualité met aujourd’hui le projecteur sur les permis de conduire. L’assouplissement du permis à point serait à l’origine de la recrudescence des accidents. Ce serait le signe que les comportements, au fond, n’ont pas changé. Aucune intériorisation de la crainte de l’accident, c’est toujours celle du gendarme qui prévaut. Triste constatation, signe d’un échec sur le fond, hélas peu surprenant. Les conducteurs ne sont toujours pas convaincus, en France, de la pertinence des mesures de prévention. Peut-être pour les autres, mais pas pour moi. L’opinion publique a admis la pose de radars, qui aurait provoqué une révolution il y a 10 ans, mais les derniers sondages montrent qu’ils veulent savoir où ils sont. Manifestement, l’évolution des esprits respecte une stricte limitation de vitesse.
La question des personnes âgées mérite une attention particulière. Le permis est accordé à vie, sauf faute. Nombre de vieillards continuent donc de conduire, même si leur aptitude physique, vue, réflexes, capacité de concentration, est bien érodée. Interrogées, elles refusent souvent d’abandonner leur véhicule. Bien sûr, c’est une résistance contre le sentiment de vieillissement, avec une dimension psychologique forte. Mais c’est aussi la manifestation d’un besoin farouche de liberté. Sans voiture, dans certaines villes et encore plus dans les campagnes, c’est l’enfermement assuré. Le repli chez soi, ou le déménagement forcé vers une maison de retraite. Un drame humain, et aussi économique, puisque la prise en charge de cette nouvelle situation coûtera beaucoup plus cher que le maintien de la situation antérieure. Notre pays étant amené à vieillir, inéluctablement, la question prendra de plus en plus d’importance.
Les réponses nous renvoient indirectement au permis de construire. Le besoin de voiture n’est pas une fatalité. Les formes urbaines, les choix relatifs aux commerces, à l’implantation des services publics, au mobilier urbain, sont des paramètres qui influencent nos capacités de mobilité et notre autonomie. Dans les territoires peu denses, des formules telles que le transport à la demande peuvent apporter des réponses, mais elles seront d’autant plus faciles à mettre en œuvre que les développements urbains les auront prévues. Accepter l’obligation pour chacun d’avoir une voiture, et son permis de conduire, est une source d’exclusion durement ressentie. Il n’y a pas que les personnes âgées, parlons des jeunes et des familles, des chômeurs qui voient leur zone de recherche réduite s’ils ne conduisent pas.
Il y aurait donc un lien entre ces permis, de conduire et de construire, et même d’émissions négociables puisque l’usage forcé de la voiture est source d’émission de gaz à effet de serre. Ces permis balisent notre vie, marquent le champ du possible, au risque de le rétrécir. Tout l’art consiste à ce qu’ils élargissent ce champ, en stimulant l’ingéniosité, la créativité et l’imagination. Un pari difficile.
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