Lièvre
Le sympathique animal si bien mis en scène par La Fontaine, avec sa comparse la tortue, évoque bien sûr la morale du fabuliste, « rien ne sert de courir… » : C’est une référence forte au temps qui passe. Les enjeux de la planète sont sérieux, ne perdons pas de temps pour démarrer, même si, ensuite, il nous faudra se « hâter avec lenteur », c'est-à-dire prendre le temps nécessaire pour analyser, comprendre, prendre toute la mesure des défis à lever et mobiliser les énergies; raison de plus pour partir tout de suite.
Le lièvre, on le débusque, on le lève. Il était caché dans un fourré, une ornière, un fossé, et il faut apprendre à le faire sortir de sa cachette. Dans la pratique, ce sera un problème inattendu, une conséquence indirecte d’une décision, qui constitue ce lièvre. Ce sont des imprévus dans le déroulement d’une opération. En environnement, on a créé une procédure, dite d’étude d’impact, pour débusquer à l’avance ces effets indésirables. Ce concept est à présent étendu à bien d’autres domaines, et on parle d’étude d’impact sur l’économie, l’emploi, etc. Il faut prévoir et maîtriser ces effets collatéraux.
Cette vision défensive constitue une première approche. Il faut aller plus loin. Eviter les problèmes est nécessaire, mais pas suffisant. En restant dans l’allégorie du lièvre, choisissons sans vergogne de courir deux lièvres à la fois. Et même plus, si cela se présente. La sagesse populaire en prend un coup ! En d’autres termes, on appelle cette démarche « le double dividende », le « win-win » comme disent les américains. Il s’agit alors de rechercher des effets collatéraux positifs, et non plus seulement d’éviter les effets négatifs.
Prenons l'exemple de la limitation de vitesse sur route. Mise en place pour des raisons d'économie d'énergie en réponse aux chocs pétroliers des années 1970, cette mesure a des effets importants en matière de sécurité routière, au point qu’on oublie souvent l’origine de la mesure. Dans les nombreuses discussions sur la limitation de la vitesse des voitures à la fabrication, les arguments de sécurité et de réduction de la consommation de carburants, et par suite de pollutions, se mêlent. Une mesure, deux familles de bénéfices à engranger. Ou plutôt trois, sécurité, pollution, commerce extérieur.
Nous pourrions continuer dans le registre de la sécurité routière et de l'environnement : entretenir son véhicule est un gage de sécurité, comme de meilleur rendement du moteur ; une conduite "calmée" est bonne pour la sécurité, la maîtrise du bruit, la pollution atmosphérique. Et même dans la conception des routes : le fait de limiter la vitesse réduit les exigences "géométriques" sur les profils et les courbes des routes, leur permettant de mieux coller au terrain, de s'intégrer plus facilement au paysage, et de réduire le volume de terres remuées.
Et pourtant, les deux mondes, de l'environnement et de la sécurité routière, s'ignorent en ce qui concerne les associations, et les administrations compétentes ne coopèrent guère que sur les normes à imposer aux constructeurs et les contrôles techniques des véhicules, créés pour cause de sécurité routière et qui comportent quelques vérifications sur la pollution. Un rapprochement plus volontaire et plus ambitieux des deux grandes causes ne permettrait-il pas de progresser plus vite et plus fort ?
Les conditions d'une telle coopération ne sont sans doute pas remplies. L'action publique répond pourtant aux mêmes exigences. Il ne devrait pas être impossible d’assurer, sur des objectifs qui recueillent un large consensus, la convergence entre une intervention de l'Etat, les stratégies des partenaires industriels, les pratiques des citoyens, les aménagements désirés et réalisés par les collectivités locales. Les cloisonnements administratifs comme les différences de motivations des associations sont la cause de la faiblesse de la coopération entre les deux domaines. La démarche gagnant-gagnant exige un effort d'ouverture et de recherche permanente d'opportunités. Chaque administration suit son chemin, avec sa "clientèle" propre et ses habitudes, ses méthodes de travail et ses réseaux. La sécurité routière est marquée par l'influence des familles de victimes, et leur douleur. Les milliers de morts sur la route représentent un tel drame que les autres causes sont facilement ressenties comme secondaires. Quant au discours sur les victimes de la pollution atmosphérique, il n’est pas de nature à rallier les familles des accidentés de la route à la cause de l’environnement : on est dans deux mondes trop éloignés, que l’ambition du développement durable doit impérativement rapprocher.
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