Intuitif
Un mot magique, qui fait le pari notre intuition, et donc de notre capacité à deviner ce qui se passe dans le monde autour de nous. L’intuition féminine est réputée, mais n'oublions pas pour autant la masculine, même si elle est plus discrète. Quelle qu’elle soit, elle ne doit pas nous empêcher de penser.
Curieusement, le mot intuitif appelle son contraire, contre-intuitif. Existerait-il des faits qui iraient à l’encontre de ce que nous pensions, de ce que notre intuition ne suggérait ? De quoi douter de soi-même, ou douter des faits selon les cas. Les faits sont souvent trompeurs, mon intuition, elle, ne se trompe pas. Nous nous accrochons souvent à notre intuition malgré les évidences.
Les exemples sont nombreux de situations où notre intuition est prise en défaut. Il faut vérifier sur pièces, et trop souvent nous persévérons dans nos erreurs. En matière d'environnement, l'intuition nous dit que c'est un luxe, que l'environnement coûte cher, qu'il est réservé aux riches. L'observation des faits nous dit le contraire. Ce n'est pas l'environnement qui coûte cher, mais l'absence de considération pour l'environnement. L'inondation produit d'importants dégâts, portés au crédit de l'environnement, alors que ce sont le plus souvent des politiques imprudentes de gestion des territoires qui ont sont la cause. Le réchauffement climatique amène de grands bouleversements dans nos économies, compromet l'avenir de certaines activités, provoque des catastrophes naturelles. Il nous coûte cher pensez-vous, et vous entendez chaque jour à la radio que la note sera salée. Le calcul a été fait de comparer ce qu'il nous coûte effectivement au budget nécessaire pour endiguer le réchauffement. La prise en compte de l'environnement coûte au minimum 5 fois moins cher que les dégâts causés par le laisser-faire. Le trouble vient de ce que nous parlons le plus souvent des dépenses à engager, qu’il faut donc décider, et pour lesquels il faut trouver des recettes. A l'inverse, le coût du laisser-faire est diffus, payé de mille manières différentes, et il ne se décide pas. Personne ne vote des dépenses, mais nous payons tous la facture sans forcément nous en rendre compte. Les plus pauvres ne sont pas exonérés, ce sont même ceux qui paient le plus cher. L'intuition nous ne conduit pas, dans ce cas-là, vers le bon raisonnement, vers les bons choix.
L’intuition nous porterait à croire que les populations affectées ou menacées par un danger bien visible sont plus engagées dans la prévention de ce danger. Les victimes de catastrophes naturelles, par exemple, serait plus soucieuses d’un aménagement adapté aux inondations ou aux incendies de forêt. Il n’en est rien, d’autres mécanismes sont à l’œuvre dans les esprits, comme la tentative de fuite devant une réalité déplaisante, qui remet en cause des convictions bien ancrées. Le déni, pour se protéger. Il y a aussi la peur de perdre son activité, peur qui domine souvent celle de la catastrophe. La réaction des pêcheurs de Minamata au Japon dans les années 1950 en est une bonne illustration. Ils ont masqué les drames dus au déversement de mercure dans leur bassin de pêche, et dont ils étaient les premières victimes, de peur de se voir interdits de pêche. La mémoire est aussi sélective. Les dégâts d’une inondation sont souvent oubliés quand il s’agit de délimiter des zones inondables, du fait des restrictions qui en découleront.
Ces deux exemples concernent l’environnement, mais beaucoup d’autres auraient pu être pris dans d’autres domaines. L’intuition poussa à croire que la libéralisation de la vente du cannabis provoquerait une hausse de la consommation, l’expérience montre que tout dépend de la manière dont elle s’effectue. L’accompagnement de ce type de mesure est déterminant. Se fier à son intuition empêche d’explorer d’autres pistes, et réduit ainsi l’éventail des choix. L’intuition est souvent absolue, exclusive d’autres hypothèses, ce qui restreint le champ du débat, et nous prive parfois d’initiatives contre-intuitives mais efficaces.
Nous voyons ainsi comment l'intuition, et souvent des a priori, forgent nos opinions. Des opinions qui vont à leur tour influencer celles des décideurs. La vie politique et ainsi marquée par des intuitions, dont une bonne partie s'avère trompeuse. Le développement durable consiste à rechercher de nouveaux modes de vie, de production et de consommation, et cette exploration devrait nous amener à suivre des pistes innovantes, le plus souvent décalées par rapport à nos pratiques actuelles. Le risque est grand de voir certaines de ces pistes bloquées du simple fait qu’elles iraient à rebours de nos intuitions. Nos intuitions sont bien utiles pour imaginer des voies de progrès originales, mais elles ne doivent pas nous empêcher d'approfondir d'autres hypothèses d’avenir, d'autres futurs, du simple fait d'être contre-intuitives.
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