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Progrès et Innovation

Facilité

facilite 3René Dubos craignait que « la plus grande faiblesse de la vie moderne soit d’amener une atrophie de nos facultés ». Comment faire pour que les facilités dont nous disposons aujourd’hui ne deviennent pas une faiblesse ?

C’est une sorte d’effet rebond. Un progrès résout des problèmes, mais en pose d’autres du fait même de son efficacité. Prenons un exemple classique. Une digue pour protéger un village. Un village précaire, et exposé aux caprices de la mer ou du fleuve. Pour réduire cette vulnérabilité, on construit une digue, et voilà que les constructions se multiplient comme des lapins dans cette zone hier inondable. L’occasion était trop belle, jusqu’au jour où la protection qu’offre la digue vient à lâcher. Au lieu de régler un problème, la digue a encouragé un comportement à risque. 
Autre exemple : l’irrigation des terres. Une solution pour lutter contre les sécheresses, qui a vite conduit à adopter des cultures peu adaptées au climat des territoires concernés. Des cultures plus rentables, peut-on croire, mais implantées artificiellement et fortement consommatrices d’eau. Idem pour les intrants chimiques en agriculture. Ils permettent de développer des activités malgré un contexte hostile, au lieu de rechercher les cultures les plus adaptées au territoire. Tout se passe comme si l’Homme voulait corriger la nature, au lieu de chercher à s’y intégrer le mieux possible. Ouvrir le champ du possible ne consiste pas à contrer la nature, mais à mieux la connaître et la respecter pour qu’elle nous donne le plus possible. Un progrès fort utile pour lutter contre un fléau donne un dangereux sentiment de puissance, et laisse penser qu’il est possible de s’affranchir de toutes les contraintes. Mauvaise pente, qui éloigne des réalités et poussent à généraliser des modèles dominants là où ils ne sont pas les bienvenus.
Dans leur livre « Eloge de l’aridité », les paysagistes Arnaud Maurière et Eric Ossart montrent que des choix de variétés végétales et de modes d’aménagement permettent de créer des jardins luxuriants avec un minimum de consommation d’eau. Il faut juste abandonner le modèle du gazon anglais, faire preuve de créativité, et de sens de l’observation.
Autre facilité qui a fait des dégâts : l’énergie pas cher. Pourquoi faire des efforts d’isolation des maisons, d’intégration par rapport aux vents dominants et au soleil, quand l’énergie est bon marché ? résultat, un parc immobilier « passoire à calories », à reprendre en profondeur. Pareil dans l’industrie : l’ingéniosité qui a permis de déplacer des montagnes avec un minimum d’énergie, d’avoir recours à la gravité, au gel et aux forces de la nature a été supplantée par l’accès à des engins et des machines de grande puissance, et fortement consommateurs d’énergie. L’énergie pas cher a aussi favorisé une mobilité pas cher. Une facilité redoutable, qui a rendu des services, mais a aussi favorisé l’étalement urbain, les grandes surfaces commerciales en bordure des villes au détriment des commerces de proximité, l’éloignement des services publics dans les campagnes, les délocalisations d’activités et une forme de ségrégation spatiale.
Le calcul mental et même l’orthographe pourraient être évoqués. A quoi bon faire des efforts, les ordinateurs et smart phones sont là pour vous donner le résultat et corriger vos fautes. Et ne parlons pas de l’argent facile, sympa mais à l’origine de bien des bêtises.
Mais de boudons pas notre plaisir. Les facilités nous facilitent la vie, c’est là leur objet, et ça marche souvent. Le problème vient de l’abus qui les accompagne, cette sorte d’effet rebond qui revient à annihiler l’avantages offert par la « facilité ». La mobilité facile, c’est formidable, sauf si c’est pour créer des villes dortoirs, des quartiers sensibles, et des villages sans vie. Aller dans l’espace, bravo si c’est pour observer la planète et mieux la connaître, c’est une catastrophe si c’est pour s’en évader. C’est une question de sagesse, et la vraie question est celle du bon usage de ces facilités. Une question d’ordre politique, au sens plein du terme, et plus généralement une question de culture. Accepter de ne pas exploiter une facilité au-delà de ce dont nous avons besoin, voilà un défi qui nous est lancé, et nous avons besoin de nous y préparer. L’humanité a « conquis » le monde, considéré comme son « jardin ». Croissez et multipliez. Nous avons créé toutes les facilités nécessaires pour parvenir à ce résultat, et nous avons du mal à ne pas les exploiter à fond.
Il est toutefois un domaine ou la facilité est encore à conquérir, c’est l’écologie, au sens non pas scientifique mais de « mode de vie ». Bien vivre en étant friendly avec la planète. Un apprentissage difficile, avec des pièges et des faux amis. Ceux qui savent sont souvent dans leur univers, pensent que les autres savent aussi, et négligent le rôle de facilitateur qu’ils devraient tenir. Rendre l’écologie facile, voilà une bonne feuille de route pour que chacun gère avec sagesse les facilités qui lui sont offertes.
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