Expérimentation
Le développement durable est à construire. Quelle chance d’avoir à créer son propre univers, mais quelle responsabilité, aussi. Et ce n’est pas facile, on peut se tromper. Innover est toujours une prise de risque, et il faut faire attention, prendre des précautions quand les enjeux deviennent trop lourds. Innovation et précaution, loin de s’opposer, se complètent, il faut le dire clairement.
Dans l’incertitude, une bonne idée est d’expérimenter. Voir ce que cela donne, avant de décider d’aller plus loin, surtout quand il s’agit de la chose publique. Dans un pays comme la France, où le dogmatisme l’emporte souvent sur le pragmatisme, cette idée, qui suppose que la loi n’est ni universelle ni éternelle et que les responsables politiques ne détiennent pas la vérité, est mal vue, et nous ne comptons plus le nombre d’expérimentions qui sont restées des expérimentations, sans que jamais les enseignements en soient tirés. Dans le domaine législatif, les expérimentations ont quand même permis d’ajuster des projets, voire de permettre leur adoption (la loi Weil est restée expérimentale dans un premier temps). La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a reconnu ce droit et l’a étendu à l’organisation des collectivités locales. C’est ainsi que le RSA a été créé et expérimenté en 2007 et généralisé en 2009. On notera quand même que les collectivités locales n’ont pratiquement pas fait usage de ce droit, par ailleurs très encadré et contrôlé par l’Etat. Dommage, car l’innovation sociale est une des voies du développement durable, et la diversité des collectivités auraient permis d’ouvrir large le champ à explorer. Un seul modèle d’administration locale ne permet guère d’innover, alors qu’une variété permettrait de comparer et de s’améliorer en reprenant les bonnes idées en vigueur chez le voisin. L’égalité républicaine ne signifie pas uniformité.
La recherche de nouveaux modèles économiques et sociaux qu’est le développement durable est rendu plus difficile et plus hasardeuse dans un système unique, qui ne peut donc que changer partout ou pas du tout. Bien sûr la personnalité et les orientations des responsables politiques des collectivités donnent des résultats différents, mais les règles du jeu donnent un cadre strict qui ne favorise pas les innovations institutionnelles. Les résistances de certains zadistes ont diverses motivations, entre « casser du flic » et envie d’explorer de nouvelles organisations de vie, et cette dernière n’est pas illégitime. Elle est même salutaire si nous considérons, avec modestie et réalisme, que notre mode de vie n’offre pas de garanties sur notre avenir, et qu’il serait utile d’en tester d’autres. Faut-il encore que ce droit à l’expérimentation soit reconnu et puisse s’exprimer sans devenir « hors la loi » par définition. On observe, notamment dans le monde rural, des initiatives intéressantes, susceptibles de vivifier un tissu social affaibli, mais souvent limité du fait des lois existantes, ou des pratiques des partenaires incontournables comme les banques et les assurances, sans oublier le blocage des intérêts dominants. Pourtant, quelques dérogations, voire quelques transgressions, ne porteraient que sur une infime partie des situations, et les risques pourraient être facilement mutualisés, dans une société qui serait alors innovante et « apprenante ». Au cours d’un colloque récent (27 février 2018), organisé par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Agence Française de Développement (AFD), sous le titre « Des territoires ruraux vivants pour transformer le monde », devenu ensuite un livre, il est affirmé que « les territoires représentent des espaces majeurs d’expérimentation et d’innovation technique, organisationnelle ou politique, et constituent à ce titre un puissant levier de transformation pour atteindre les ODD (1) ». Ces innovations sont parfois le fait de quelques communes, comme au Mené en Côtes-d’Armor, engagée depuis 1960 dans une démarche de renouveau, mais elles sont souvent animées dans le cadre d’associations, comme les centrales villageoises, les Fabriques du monde rural ou les territoires zéro chômeurs longue durée.
Depuis 2016, l’expérimentation concerne aussi les entreprises et l’emploi. Avec France Expérimentation, les entreprises peuvent demander des dérogations pour lever des contraintes à leur activité. Il est vrai que dans le grand courant de simplification administrative, le recours à l’expérimentation s’avère nécessaire. Oui à la mise à jour et à la simplification des textes, non à la suppression des protections des riverains, des clients, des personnels et de l’environnement. Si l’expérimentation permet de faire le tri et de séparer le bon grain de l’ivraie, ne nous en privons pas !
L’expérimentation permet aussi des ajustements à des règles administratives ou financières. Il s’agit souvent de choisir des critères de décision adaptés. Prenons le cas du secteur de la santé et de la sécurité sociale, plus précisément la démarche en cours pour limiter le recours aux médicaments dans le traitement de la dépression des adolescents. La situation est la suivante : les médicaments (psychotropes antidépresseurs en l’occurrence) sont remboursés, alors que le psychothérapeute ne l’est pas. La tendance à la solution médicamenteuse est donc privilégiée, au lieu de rester une solution de repli, quand les autres ont échoué. Comment inverser la tendance, en veillant à ce que les jeunes dépressifs et la sécurité sociale soient tous les deux gagnants ? Dans plusieurs régions, et avec le concours des Agences régionales de santé (ARS), des expérimentations de remboursement des psychothérapeutes est en cours. Nous verrons bientôt si cette réponse est la bonne, si le traitement par psychothérapie est plus efficace pour la santé et pour les finances publiques. Ce n’est pas sûr, il faut juger sur les faits.
Globale ou sectorielle, politique ou technique, l’expérimentation est une pratique essentielle dans la recherche de voies nouvelles, en particulier quand des enjeux lourds sont en cause. Une nécessité particulièrement marquée dans une société centralisée et pyramidale comme la nôtre, si l’on veut qu’elle accepte le changement, en en voyant les résultats. Développement durable et expérimentation, même combat !
Dans l’incertitude, une bonne idée est d’expérimenter. Voir ce que cela donne, avant de décider d’aller plus loin, surtout quand il s’agit de la chose publique. Dans un pays comme la France, où le dogmatisme l’emporte souvent sur le pragmatisme, cette idée, qui suppose que la loi n’est ni universelle ni éternelle et que les responsables politiques ne détiennent pas la vérité, est mal vue, et nous ne comptons plus le nombre d’expérimentions qui sont restées des expérimentations, sans que jamais les enseignements en soient tirés. Dans le domaine législatif, les expérimentations ont quand même permis d’ajuster des projets, voire de permettre leur adoption (la loi Weil est restée expérimentale dans un premier temps). La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a reconnu ce droit et l’a étendu à l’organisation des collectivités locales. C’est ainsi que le RSA a été créé et expérimenté en 2007 et généralisé en 2009. On notera quand même que les collectivités locales n’ont pratiquement pas fait usage de ce droit, par ailleurs très encadré et contrôlé par l’Etat. Dommage, car l’innovation sociale est une des voies du développement durable, et la diversité des collectivités auraient permis d’ouvrir large le champ à explorer. Un seul modèle d’administration locale ne permet guère d’innover, alors qu’une variété permettrait de comparer et de s’améliorer en reprenant les bonnes idées en vigueur chez le voisin. L’égalité républicaine ne signifie pas uniformité.
La recherche de nouveaux modèles économiques et sociaux qu’est le développement durable est rendu plus difficile et plus hasardeuse dans un système unique, qui ne peut donc que changer partout ou pas du tout. Bien sûr la personnalité et les orientations des responsables politiques des collectivités donnent des résultats différents, mais les règles du jeu donnent un cadre strict qui ne favorise pas les innovations institutionnelles. Les résistances de certains zadistes ont diverses motivations, entre « casser du flic » et envie d’explorer de nouvelles organisations de vie, et cette dernière n’est pas illégitime. Elle est même salutaire si nous considérons, avec modestie et réalisme, que notre mode de vie n’offre pas de garanties sur notre avenir, et qu’il serait utile d’en tester d’autres. Faut-il encore que ce droit à l’expérimentation soit reconnu et puisse s’exprimer sans devenir « hors la loi » par définition. On observe, notamment dans le monde rural, des initiatives intéressantes, susceptibles de vivifier un tissu social affaibli, mais souvent limité du fait des lois existantes, ou des pratiques des partenaires incontournables comme les banques et les assurances, sans oublier le blocage des intérêts dominants. Pourtant, quelques dérogations, voire quelques transgressions, ne porteraient que sur une infime partie des situations, et les risques pourraient être facilement mutualisés, dans une société qui serait alors innovante et « apprenante ». Au cours d’un colloque récent (27 février 2018), organisé par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad) et l’Agence Française de Développement (AFD), sous le titre « Des territoires ruraux vivants pour transformer le monde », devenu ensuite un livre, il est affirmé que « les territoires représentent des espaces majeurs d’expérimentation et d’innovation technique, organisationnelle ou politique, et constituent à ce titre un puissant levier de transformation pour atteindre les ODD (1) ». Ces innovations sont parfois le fait de quelques communes, comme au Mené en Côtes-d’Armor, engagée depuis 1960 dans une démarche de renouveau, mais elles sont souvent animées dans le cadre d’associations, comme les centrales villageoises, les Fabriques du monde rural ou les territoires zéro chômeurs longue durée.
Depuis 2016, l’expérimentation concerne aussi les entreprises et l’emploi. Avec France Expérimentation, les entreprises peuvent demander des dérogations pour lever des contraintes à leur activité. Il est vrai que dans le grand courant de simplification administrative, le recours à l’expérimentation s’avère nécessaire. Oui à la mise à jour et à la simplification des textes, non à la suppression des protections des riverains, des clients, des personnels et de l’environnement. Si l’expérimentation permet de faire le tri et de séparer le bon grain de l’ivraie, ne nous en privons pas !
L’expérimentation permet aussi des ajustements à des règles administratives ou financières. Il s’agit souvent de choisir des critères de décision adaptés. Prenons le cas du secteur de la santé et de la sécurité sociale, plus précisément la démarche en cours pour limiter le recours aux médicaments dans le traitement de la dépression des adolescents. La situation est la suivante : les médicaments (psychotropes antidépresseurs en l’occurrence) sont remboursés, alors que le psychothérapeute ne l’est pas. La tendance à la solution médicamenteuse est donc privilégiée, au lieu de rester une solution de repli, quand les autres ont échoué. Comment inverser la tendance, en veillant à ce que les jeunes dépressifs et la sécurité sociale soient tous les deux gagnants ? Dans plusieurs régions, et avec le concours des Agences régionales de santé (ARS), des expérimentations de remboursement des psychothérapeutes est en cours. Nous verrons bientôt si cette réponse est la bonne, si le traitement par psychothérapie est plus efficace pour la santé et pour les finances publiques. Ce n’est pas sûr, il faut juger sur les faits.
Globale ou sectorielle, politique ou technique, l’expérimentation est une pratique essentielle dans la recherche de voies nouvelles, en particulier quand des enjeux lourds sont en cause. Une nécessité particulièrement marquée dans une société centralisée et pyramidale comme la nôtre, si l’on veut qu’elle accepte le changement, en en voyant les résultats. Développement durable et expérimentation, même combat !
1 - ODD : objectifs de développement durable, retenus par l’ONU en septembre 2015
Photo : Chuttersnap - Unsplash
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