Evidence
La construction d'un monde différent, capable de faire vivre dignement 9 milliards d'humains, exige que l'on se débarasse de certitudes et des canons du passé. Il faut chasser les fausses évidences.
L’évidence, voilà l’Ennemi n°1 de la pensée. Pourquoi s’interroger, alors que la situation est limpide, et que l’action s’impose d’évidence ?
Méfiez-vous donc de l’évidence, souvent utilisée pour faire passer des idées toutes faites, des solutions Uniques, des positions préparées à l’Avance, de la mesure industrielle au lieu du sur-mesure. Les fausses évidences courent les rues. Elles ne doivent pas nous aveugler.
Faisons tout de suite litière de quelques évidences. De bons matériaux font un bon bâtiment, comme de bons ingrédients font de la bonne cuisine, ou de bonnes constructions un bon quartier. Chacun sait que ça ne suffit pas, et que l’on peut même obtenir un résultat inverse. The right man at the right place se décline aisément dans ces 3 exemples : le meilleur matériau, renouvelable, labélisé, bio et équitable, utilisé à contre emploi se révèle une catastrophe, non seulement pour la maison où on l’utilise, mais pour toute sa chaine de production qui a été mobilisée en vain. Un produit qui ne répond pas au besoin est toujours une perte environnementale, économique et sociale. Idem pour la cuisine où le rapprochement et la combinaison des meilleures saveurs peuvent devenir écœurants. Et tout le monde sait bien qu’un «écoquartier » n’est pas que la juxtaposition de maisons HQE/BEPOS. L’énergie positive, à moins que ce ne soit en feng shui, ne suffit pas à créer des relations sociales et du bien être. D’une manière générale, il est bon de se rappeler la loi de Thackara : Si vous introduisez une technologie intelligente dans un produit sans intérêt, le produit restera sans intérêt(1).
Il y a aussi l’autoroute qui désenclave. Attendue avec impatience par les collectivités et les acteurs économiques, on s’aperçoit souvent qu’elle n’apporte pas grand chose à elle toute seule. L’autoroute n’est pas le Messie, elle ne sauve pas des régions qui s’enlisent dans la déprime. Elle peut rendre de véritables services si elle s’inscrit dans une dynamique locale, mais elle ne se substitue pas à cette dynamique. L’évidence toute faite relève souvent d’une logique simpliste, linéaire, action/réaction, alors que le monde est complexe, avec des résonances, des interactions.
Les fausses évidences sont souvent des représentations trop facilement prises pour la réalité, des idées préconçues non remises en cause. L’environnement coûte cher. Voilà un préjugé qui, lui, coûte cher, auquel on pourrait opposer une expression populaire : ça coûte cher d’être pauvre. Oui, l’environnement coûte cher s’il est simplement additionnel, une contrainte de plus à intégrer à un projet. A l’inverse il est souvent économique s’il amène à penser différemment le projet, à commencer par une bonne analyse du besoin auquel il répond et du contexte humain et physique où il s’inscrit. La sobriété est souvent bien suffisante, les circuits courts peuvent s’avérer très économiques. Sans parler du prix consolidé, quelle que soit la manière de le consolider. Côté commanditaire, en intégrant la Qualité d’Usage et les frais qui vont s’ajouter au fil des ans ; côté collectivité, avec les Coût coûts supportés par tous, dégradations des milieux et des paysages, consommation de ressources naturelles, nuisances diverses.
La fausse évidence est souvent fille d’un excès de confiance, mais aussi d’une faiblesse, la crainte de devoir justifier un choix. Une évidence n’a pas besoin d’être expliquée ni démontrée, elle s’impose d’elle-même. C’est bien commode pour masquer des Doutes ou une incompétence. C’est comme ça ! Un point c’est tout.
L’évidence trop vite mise en avant permet aussi d’éluder la question. Celle-ci est étouffée dans l’œuf, tellement la réponse arrive vite et cristallise le débat. Dans notre actualité brûlante, le débat sur la retraite a occulté la véritable question, celle du vieillissement, dont les effets sont multiples, et qu’il faut positiver. On parle aussi de la ville, qui n’est pas un problème, c’est la solution. Notre avenir est dans les villes, les grandes métropoles vont s’imposer au monde. Et pourquoi donc ? Le combat XXL contre small is beautifull est-il déjà joué ? C’est comme la vitesse. Plus vite est mieux, c’est évident. Vraiment ? La lenteur a aussi des mérites, et la Résistance contre la tyrannie de la vitesse commence à s’organiser.
L’évidence traduit souvent une forme de conservatisme. Elle affirme des vérités toutes faites dans nos têtes, ce qui évite de regarder et d’écouter autour de soi. L’innovation dont nous avons tant besoin ne fonctionne pas à coup d’évidences, mais de confrontations. Celles- ci peuvent être houleuses, mais elles conduisent à ouvrir les yeux et les oreilles, à privilégier l’observation et le dialogue sur le chemin parfois surprenant du développement durable.
1 John Thackara, In the bubble, de la complexité du design durable (Cité du design édition, 2008)
Chronique mise en ligne le 7 mars 2011
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