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Progrès et Innovation

Ballon

Pour mettre d’accord les partisans du ballon rond et ceux du ballon ovale, nous parlerons ici d’une autre forme de ballon, le ballon d’oxygène. Une respiration bien utile quand on doit affronter des épreuves, et notamment opérer des transformations profondes.

La mondialisation, l’évolution des cours des matières premières, l’arrivée de nouvelles technologies, et bien d’autres évènements marquent la vie des entreprises et des institutions, et par suite celle de chacun d’entre nous. Nous avons bien besoin de répit, de pause dans cette tourmente incessante.

Du temps pour trouver une autre forme d’organisation et la mettre en place.

Parfois, on se donne un délai pour changer d’époque.  Par exemple, la France s’était donné 10 ans pour supprimer toutes les décharges de déchets non ultimes, et pour sortir du moyen-âge où nous étions pour les ordures ménagères (mais avec une production digne du 20e siècle). C’était en 1992, et l’objectif « zéro décharge » était affiché pour le 1er juillet 2002. Que croyez-vous qu’il arrivât ? A part quelques collectivités zélées ou prévoyantes, tout le monde s’est endormi. Ce ballon d’oxygène de 10 ans, imaginé pour permettre une transition en douceur, s’est transformé en un sursis stérile. Tout le monde (ou presque) s’est réveillé à 10 ans moins 5 minutes, et ce fut l’affolement général. On voyait bien que la transition avançait lentement, trop lentement, mais les pressions n’ont pas pu venir à bout des Résistances.

Dans un tout autre domaine, on a vu un phénomène semblable se produire avec les textiles chinois. C’était en 2005, à la fin du moratoire sur l’importation des textiles chinois. Panique à bord, les industriels annonçaient une perte de 1000 emplois par jour en Europe depuis la fin du moratoire. Il faut réagir, bloquer les frontières, mettre en place des clauses de sauvegarde ! On oublie vite qu’une période de 10 ans, là encore, avait été instaurée pour permettre une transition en douceur, et la reconversion des entreprises européennes vers des activités plus performantes. C’est ce que prévoyait l’Accord sur le Textile et l’Habillement signé en 1995 sous l’égide de la toute jeune OMC. Un ballon d’oxygène qui a servi de somnifère, manifestement.

On l’aura compris, un ballon d’une pièce, 10 ans par exemple, sans objectifs intermédiaires, ne sert pas à grand-chose. Chacun a toujours mieux à faire que d’opérer les changements nécessaires, on a bien le temps, il y a d’autres priorités. Les constructeurs automobiles européens l’ont bien compris, qui font monter les exigences sur les pollutions de leurs machines par paliers successifs.  Ce sont des normes dites « euro » qui resserrent les boulons par intervalles de quelques années, de 3 à 5 à peu près, et sont ainsi passées de euro 0, en 1988 à euro 5 en 2011, avec euro 6 en perspective. Une mécanique bien huilée, et plus efficace que le rendez-vous dans 10 ans.

Nous assistons aujourd’hui à un phénomène inquiétant. Le fameux « peak oil », le moment où nous consommerons plus de pétrole que l’on pourra en produire, fait l’objet de débats, et ils détournent l’attention du vrai problème. On trouve toujours de nouveaux gisements. Le prix actuel du pétrole permet d’ailleurs d’aller le chercher dans des conditions extrêmes , sous la banquise par exemple. Les risques de pollution en sont aggravés, nous touchons des secteurs encore préservés, mais fragilisés et importants pour l’équilibre de la planète. Mais surtout, il en résulte un état d’esprit d’insouciance. Pas de problème, le peak oil est encore loin, il s’éloigne comme l’horizon. La transition vers une énergie décarbonée peut donc attendre. Obnubilés par la question de la ressource, les opérateurs oublient que le problème principal est le rejet. Pour cause d'effet de serre, nous ne pouvons nous permettre de bruler tout le pétrole accessible à la surface de la planète ou dans ses profondeurs. La rareté est un atout, s’il fait monter les prix et incite à la modération. C’est l’abondance qui est le problème. Trouver de nouveaux gisements peut rendre service, peut aider quelques pays à assurer une transition plus confortable vers une société « sans carbone », mais attention à ne pas se laisser détourner de la préoccupation principale du réchauffement climatique. Voilà encore un ballon d’oxygène qui peut être mal interprété, et donner naissance à des comportements irresponsables.

Le développement durable consiste à inventer un monde nouveau, et à s’extraire de modes de vie et de raisonnements conçus à d’autres époques. La tentation est grande de toujours revenir en arrière, de voir si cette transformation ne peut pas attendre encore un peu. Mais ce qui peut apparaître comme un ballon d’oxygène peut se révéler un piège. Retarder les évolutions inéluctables, y aller à reculons, est une bien mauvaise manière de construire l'avenir

Chronique mise en ligne le 27 septembre 2011

 

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