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Production et consommation

Outil

L’ingéniosité de l’Homme lui a permis de créer des outils, des prolongements de lui-même qui le rende plus efficace. Du simple bâton à la machine-outil, au robot et à l’ordinateur, sans oublier les dictionnaires et les logiciels, les catéchismes et autres petits livres rouges, les outils témoignent de cette capacité humaine à renforcer sa puissance d’intervention sur la matière et son environnement.



Vis-à-vis du développement durable, les outils sont comme la langue d’Esope, la langue, dans ces deux sens d’organe et de langage, la meilleure et la pire des choses. On a en effet tendance à charger les outils de bien des qualités ou des défauts qui ne sont pas les leurs, mais ceux de leurs pilotes, de ceux qui en tiennent les commandes. Le meilleur outil du monde peut devenir une véritable plaie s’il est utilisé en contre-emploi. Les antibiotiques, déjà évoqués sur ce blog à travers le mot résistance, présentent d’incontestables vertus thérapeutiques, mais leur usage immodéré et sans précaution en réduit l’efficacité et les transforme en produit polluant, mettant en péril des équilibres naturels.

Les exemples sont nombreux qui témoignent de cette confusion entre outil et action. Prenons l’exemple célèbre de la dynamite. Au départ, Alfred Nobel avait conçu un explosif aussi performant et plus sûr que la nitroglycérine, pour réduire le nombres des accidents dans un usage pacifique : routes, tunnels, mines, etc. On connaît la suite, et l’usage militaire qui en fut fait, au point que Nobel a pu souhaiter la création d’un substance si destructrice que la guerre en deviendrait impossible. Il a été servi, avec la bombe atomique, mais celle-ci n’a pas empêché de nombreux conflits locaux, aux bilans humains et patrimoniaux très lourds. L’usage à la fois civil et militaire d’une technique, d’un outil, marque bien la difficulté que l’on a à le caractériser vis-à-vis du développement durable. Le basculement du bon usage au mauvais peut intervenir très rapidement, et on a vu dans l’histoire des enchaînements qui ont conduit brutalement à des bouleversements des équilibres.

Même en restant dans les usages civils, la finalité de l’action reste dominante sur l’outil. En matière de régénération de la qualité biologique des sols, de la gestion paysagère de sites, ou de lutte contre l’érosion et les inondations, le recours à un instrument puissant d’action foncière est fort utile, pour ne pas dire indispensable. Au-delà des limites des propriétés, il convient de reconstituer des lignes de défense contre les écoulements trop rapide des eaux, de planter des rangées d’arbres, de créer des zones humides, et de donner à ces ensembles des organismes de gestion, pour leur assurer le suivi et les quelques travaux d’entretien nécessaire. L’échelle d’action est celle d’un territoire cohérent de point de vue des enjeux pris en charge, notamment un bassin constitué autour d’une rivière, ou un massif, une zone paysagère. L’élaboration d’un plan d’ensemble et sa mise en œuvre demande une volonté de la collectivité et un travail commun, pour mobiliser les énergies et trouver un consensus préservant équitablement les intérêts de chacun. Un instrument de ce type existe en France, il s’appelle le remembrement rural. Outil très puissant, il s’est développé essentiellement pour favoriser une forme de révolution agricole, marquée par un productivisme forcené et le soutien des cours de certaines productions, notamment du maïs. Le remembrement est donc marqué par cette époque, car sa puissance a été mise au service d’une vision « industrielle » de l’agriculture aujourd’hui bien dépassée, malgré quelques poches de résistance. L’outil est ainsi victime de la politique dont il a été le fidèle serviteur, et ne peut être remis en marche au profit d’autres objectifs.

C’est que la puissance des outils fait peur. A juste titre. On le voit avec le remembrement. C’est l’état d’esprit dominant dans les milieux agricoles qui est en cause, mais la puissance de l’outil a permis à des erreurs lourdes de se réaliser, avec des conséquences durables. Tel explosif ou tel engin, fort utile ici, peut s’avérer désastreux ailleurs. Les outils matériels sont le plus souvent cités, car visibles et même spectaculaires, mais que dire d’autres outils, comme des organes de communication, qui peuvent véhiculer le meilleur et le pire pour reprendre la référence du philosophe grec.

L’outil a le malheur d’être comme le messager d’une mauvaise nouvelle. Il en est jugé responsable. Dans toute la chaîne des questions qui caractérisent un projet, quoi, pour qui, pourquoi, comment, avec quoi, où, quand, etc., l’outil ne représente qu’un maillon. Le programme, la finalité de l’action et le contexte où elle se situe, sont bien plus déterminants que les outils, mais ils se voient moins ou bien sont déconnectés dans des discours généraux et généreux d’intention, qui taisent les réalités de la mise en œuvre.

On peut malgré tout s’interroger sur les outils eux-mêmes. Leur puissance, le caractère irréversible de leurs effets, la maîtrise de leurs effets secondaires, leur confère une responsabilité propre. Le DDT et le nucléaire civil sont des exemples d’outils dont les effets ne sont pas près de s’estomper.

Le principe de précaution, ou plutôt de responsabilité qui le sous-tend, éclaire la conduite à tenir devant ces outils, qui ne doivent pas échapper au contrôle de leurs créateurs, tels l’œuvre du docteur Frankenstein. Plus l’outil est puissant, plus ses effets sont irréversibles, plus grandes doivent être les précautions à prendre avant d’en décider la mise en œuvre. Précautions techniques et sociales, voire politiques au sens plein du terme. Les procédures tendant à assurer ces préalables se multiplient aujourd'hui, études d’impact ou d’incidences, enquêtes et débats publics, conférences de consensus ou de citoyens, etc. Elles se situent à l’échelle du projet comme une ligne de TGV, ou de manière plus générale à l’échelle d’une politique ou d’une technique, comme les OGM. Ces outils d’un genre encore assez récent dans nos sociétés modernes sont de nouvelles formes de régulation sociale. Leur appropriation est longue et difficile. Elles conditionnent la durabilité de notre développement.

 

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