Mentalité
Les 30 glorieuses ont marqué notre appareil productif et l’organisation de notre territoire. Elles ont aussi laissé des traces dans nos esprits, nos comportements, nos mentalités.
On s’habitue vite à la croissance, et aux facilités qu’elle offre. La croissance démographique, naturelle ou migratoire, qui offre la main d’œuvre dont on a besoin, et la croissance économique qui permet de contracter des dettes à payer par les surplus de demain.
Au cours des « 30 Glorieuses », l’arrivée sur le marché de nombreux équipements, de la télévision à la machine à laver la vaisselle, et bien sûr de l’Automobile, a créé une dynamique de consommation qui a dopé la croissance. Chacun voulait accéder à ces richesses, aussi bien pour des questions de statut social que pour le service rendu par ces biens. Des instruments financiers ont permis aux ménages d’anticiper leurs achats, le crédit est devenu un des moteurs de la consommation, et par suite de la croissance.
Vivre à crédit, voilà la révolution que les glorieuses ont apportée à nos mentalités. Le crédit non pas comme une décision exceptionnelle, pour des biens lourds tels que le logement, mais pour des produits de consommation courante et des équipements d’obsolescence rapide. L’endettement est une invention formidable, quand il s’agit d’investir ou de créer des avantages durables, dont les effets se font sentir bien au-delà de la période de remboursement de la dette. L’ériger en système banal pour tout type de consommation est très dangereux. Le phénomène du surendettement traduit en France une dérive lourde du crédit, manifestement mal contrôlé. Et aux Etats-Unis, on a vu les drames des surprimes, conséquence normale d’une économie fondée sur le crédit sans modération, c’est le moins qu’on puisse dire.
Le crédit est devenu la règle pour les particuliers, elle l’est aussi pour les Etats. La question des dettes publiques n’est pas nouvelle, et notre histoire regorge des aventures financières des Jacques Cœur et autres banquiers lombards, au secours des caisses de nos rois désargentés. Les pauvres, ils ne pouvaient plus payer les soldes de leurs troupes. Aujourd’hui, il ne s’agit plus de financer les guerres, mais les services publics, la solidarité, l’éducation, la recherche, et bien d’autres choses encore. L’appel au crédit est bienvenu pour financer l'avenir, à condition toutefois de ne pas se tromper d’orientation. Il n’est pas « durable » pour financer des dépenses courantes, sauf situation exceptionnelle à surmonter, de courte durée. La règle d’or est une tentative de remise en ordre, mais sans vision en coût global. Elle est en outre exclusivement financière, alors que les dettes peuvent se contracter aussi en nature. Pour ne prendre qu’un exemple, la dégradation d’un milieu, faute d’investissements de prévention des pollutions, n’entre pas dans les calculs de la règle d’or, alors qu’elle peut affecter durement des capacités de production et couter très cher à la collectivité. En Chine, le cout des agressions à l’Environnement a été évalué à 9% du PIB(1).
Les 30 glorieuses nous ont conduits sur la voie de la société de consommation, et non de réponse à des besoins. La croissance pour la croissance, modèle non durable car il porte en soi les causes de sa disparition. La machine tourne sur elle-même, elle n’est plus en prise avec la société. Pas de problème, si on considère que le monde est infini, que ses ressources sont illimitées, qu’il a les capacités de digérer tous les rejets que nous émettons. Dans toute cette agitation, il y aura bien quelques avantages à engranger, Dieu reconnaîtra les siens en quelque sorte.
Hélas, le monde n’est pas infini, et notre mentalité n’en a pas encore bien pris conscience. Le souci d’économie, qui caractérise les sociétés traditionnelles, a été bousculé au cours des 30 glorieuses. Au diable l’avarice. Il va falloir y revenir, et fonder la croissance sur de nouveaux concepts, ou plutôt des concepts anciens revisités. La réponse aux besoins, toujours plus importants car nous sommes plus exigeants, nous vivons plus longtemps, nous sommes plus nombreux, et nous voudrions bien que chacun sur la planète puisse vivre en toute dignité.
Les 30 glorieuses ont structuré nos appareils de production et nos territoires. Elles ont aussi changé nos mentalités, en les habituant au toujours plus, une croissance quantitative, nécessaire mais loin d’être suffisante. Malgré ça, la France s’ennuyait, pour reprendre la célèbre phrase de Pierre Viansson-Ponté à la Une du Monde en mars 1968, et il fallait un évènement pour révéler les aspirations restées sans réponse. Il fallait de nouvelles ambitions, de nouvelles perspectives pour nos sociétés. Quelques voix s’élevaient pour ouvrir le débat, Jacques Ellul, Georges Friedmann, Edgar Morin, Bertrand de Jouvenel, et quelques autres, mais les mentalités n’étaient pas prêtes.
Le développement durable était encore en gestation.
1 - Selon Un rapport de la banque mondiale et du Centre de recherche sur le développement du Conseil d’État chinois, China 2030: Building a Modern, Harmonious, and Creative High-Income Society. Février 2012
Chronique mise en ligne le 25 novembre 2012
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