Agribashing
L’agriculture française a-t-elle tout faux ? 20% des émissions de gaz à effet de serre pour moins de 2% du PIB, c’est un exploit pour une activité dont une partie notable consiste à capter le carbone. L’agriculture française s’enorgueillissait d’assurer l’autonomie alimentaire de la France, et d’exporter massivement. Nous apprenons aujourd’hui qu’elle est largement dépendante du gaz russe. Pas de gaz, pas d’engrais azoté, et une production en chute. Ça tombe mal, juste en un moment de tension sur les céréales russes et ukrainienne. Hausse des prix chez nous, et risques de pénurie et de crise alimentaire dans bien d’autres pays. Les engrais, d’ailleurs première source de gaz à effet de serre agricole. Parlons de l’élevage. Ce sont les aliments pour le bétail qui nous viennent de loin, et qui provoquent des coupes importantes dans les forêts primaires, avec toutes les conséquences que nous connaissons : puits de carbone menacés, biodiversité en régression, et populations autochtones expulsées. Etonnez-vous ensuite que l’agriculture fasse l’objet de critiques, immédiatement qualifiés d’agribashing ! Et encore, le tableau aurait pu être assombri en ajoutant la consommation d’eau de l’agriculture (70% de l’eau douce en France), les effets des pesticides sur la santé humaine et la biodiversité, la banalisation des paysages. Sans parler du nombre de suicides parmi les agriculteurs.
Comment en est-on arrivés là ? Une autre agriculture est-elle possible ?
Il y a bien eu des efforts annoncés au Grenelle de l’environnement pour réduire la part des pesticides, un engagement de la profession de diviser par deux le volume de ces produits, qui n’a pas eu d’effet. « Des objectifs non atteints en dépit d’une décennie d’actions mobilisant des fonds publics importants » note la Cour des comptes dans un référé de novembre 2019. Elle préconise « Une nécessaire évolution des modes de production agricole ». Commentaires repris et abondés par une « évaluation des actions financières du programme Écophyto » produite par une mission conjointe des inspections des Finances, de l’Agriculture et du Développement durable en mars 2021, qui préconise notamment le recours à des « modèles agricoles multiples ».
Un tournant, et pas seulement quelques mesures sectorielles, dont les effets restent mineurs si le « système agricole » n’évolue pas. Une orientation avait été donnée, il y a plus de 40 ans, et qui pourraient bien être reprise aujourd’hui. C’était après une longue période de modernisation de l’agriculture française, qui contribuait ainsi aux « 30 glorieuses » en augmentant sa productivité, et libérait une main d’œuvre pour d’autres activités. « Notre agriculture se révèle quelques peu essoufflée à la suite d’une longue course à la productivité entamée dès la fin de la 2e guerre mondiale », nous dit Jacques Poly, Directeur général de l’INRA dans un rapport devenu célèbre. C’était en 1978. La ligne de conduite proposée tient dans le titre : « Pour une agriculture plus économe et plus autonome ». Il ne semble pas qu’elle ait été suivie, au profit d’un internationalisation continue de l’agriculture, tant pour ses ressources que pour ses débouchés. Nous voilà donc dépendants de nombreux partenaires, et à la merci d’aléas géopolitiques. La solidarité avec d’autres pays est une bonne chose, pour les situations extrêmes notamment, mais il s’agit alors de consolider des réseaux et non de se fragiliser en abandonnant des productions essentielles ou en adoptant des techniques non durables ou risquées. Les importations massives d’aliments pour le bétail issu de la déforestation, ou d’engrais azotés fabriqués à grand renfort d’énergie fossiles en sont deux illustrations bien connues.
« Continuons comme avant » semble malgré tout rester le sentiment dominant. Tous les projets de réforme présentent deux aspects : un plan pour les innovations, et un budget pour assurer une continuité, éviter les ruptures. Par exemple, développer des pratiques économes en eau, et augmenter la ressource en eau, par des barrages notamment. Deux orientations contradictoires, mais complémentaires pour l’acceptabilité du changement. Comment se répartissent les budgets ? Toujours dans les mêmes ordres de grandeur, l’éternel rapport 80 – 20. 20% pour l’innovation et 80 pour pouvoir continuer comme avant. La nouvelle PAC, comme les précédentes, reste dans cette logique. « Se hâter avec lenteur » semble bien être la devise de la nécessaire évolution de l’agriculture. Avec l’agribashing comme défense contre tous ceux qui ne seraient pas d’accord.
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