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Politique

Stratégie


stratgieIl n’y a pas que les mauvaises herbes qui ont la vie dure, il y a aussi les mauvaises stratégies. Ou des stratégies qui perdurent bien au-delà le leur temps utile. Des stratégies qui n’ont pas vu le temps passer…

Quel que soit le domaine concerné, la stratégie induit une série de décisions. Elle formate une organisation, les cultures des acteurs.

Des règlements sont élaborés pour la traduire, des efforts de recherche sont lancés et se transforment en structures permanentes, qui n’ont vite d’autres buts que de perdurer. Les réseaux relationnels et commerciaux sont issus des stratégies, les institutions sont courtisées dans le même esprit. Bref, la stratégie forge la nature d’un organisme ou d’une activité.
Mais le temps passe, et il faut savoir changer de stratégie, à plus forte raison si elle portait des erreurs dès le départ. C’est bien difficile, car il s’agit alors de mettre en cause une culture d’entreprise, une personnalité à laquelle chacun a adhéré. Changer de stratégie est douloureux. Quand les résultats sont décevants, la tendance naturelle est de se replier sur les valeurs du groupe, et de renforcer ainsi la stratégie perdante. Persévérons et apportons encore plus de vigueur dans l’ancienne politique, et les résultats s’amélioreront. Ce n’est pas avec ce type de raisonnement que l’on s’adapte aux nouvelles réalités.

La sécurité routière nous en donne une illustration frappante. La stratégie retenue, au-delà de l’amélioration du réseau routier et des véhicules, d’agir sur les comportements des conducteurs en agitant la peur du gendarme. La communication, importante par son volume, avait essentiellement pour but de légitimer la répression. Les campagnes de publicité ne pouvaient, à elles seules, aller à l’encontre de la culture dominante, le culte de la vitesse et de la compétition, mais diffusait un message assez fort pour dissuader les opposants à la multiplication des radars et des contrôles d’alcoolémie. Il en résulte un consensus mou, à savoir une acceptation formelle de la politique menée, mais pas une réelle adhésion. Et dès que le gendarme a le dos tourné, les bonnes vieilles habitudes reprennent le dessus. Nous n’avons pas réussi à changer en profondeur le comportement des conducteurs. Cette stratégie a donné des résultats, indéniables, de division par plus de 5 du nombre des tués. Elle semble aujourd’hui à bout de souffle, les progrès stagnent, et il n’est question que de renforcer la politique ancienne de contrôle et de répression. Ne faut-il pas, sans baisser la garde dans un premier temps, changer de stratégie et chercher à intérioriser les enjeux de sécurité routière dans les esprits des intéressés ? Les faire adhérer en profondeur, au fond d’eux-mêmes, aux valeurs de respect de la vie des autres, de leur tranquillité aussi car derrière la sécurité se tiennent bien d’autres valeurs, comme la lutte contre le bruit et les économies d’énergie. Les moyens modernes de communication, les réseaux sociaux, la personnalisation des messages que permettent ces techniques, offrent un champ nouveau pour développer des stratégies originales.
La politique agricole, objet de bien des critiques ces temps-ci, offre un autre cas d’école. La France, qui ne nourrissait pas sa population en 1945, est devenue exportatrice de produits agricoles, avec une ambition de « nourrir le monde ». Et elle s’en est donné les moyens, aidée en cela par une politique agricole commune généreuse. La mentalité des agriculteurs, leur organisation, les nombreux opérateurs techniques et financiers qu’ils ont suscités, tous les efforts ont convergé pour une stratégie d’expansion et de production de masse. Cette orientation a souvent été critiquée par le passé, accusée de freiner le développement de l’agriculture dans les pays du Sud. Les exportations de l’agriculture du Nord, très performante et puissamment aidée, n’ont pas favorisé l’essor des agricultures du Sud. L’abandon de nombreuses terres et un fort exode rural vers des villes, devenues par suite tentaculaires et dépendantes des aides alimentaires internationales, en a été une des conséquences, mais d’autres causes peuvent être évoquées. Il n’empêche qu’aujourd’hui, cette politique de la quantité est remise en question par les progrès des pays émergents et les pratiques de certains pays européens sur des produits standardisés. La stratégie « nourrir le monde » ne fonctionne plus. L’orientation de la qualité, de la personnalisation, de la proximité, du lien avec le territoire, des services rendus pour la qualité de l’eau et des paysages, pour la richesse biologique, longtemps négligée et acceptée du bout des lèvres par les principaux représentants de la « profession », devient le centre d’une nouvelle stratégie à imaginer. Il n’en reste pas moins que ce changement de cap est dur à faire passer, tant au niveau des dirigeants que dans les têtes des agriculteurs « ordinaires », nourris au lait de l’hyper productivité et des marchés internationaux.
Ces deux exemples, dans deux domaines bien différents, témoignent des inerties, avant tout culturelles, de notre société, confrontée à des changements profonds. Ce que l’on appelle « développement durable » est la recherche de nouveaux modèles, de nouvelles stratégies de développement. Sans changer de stratégie, les tentatives de « modernisation » se concentrent sur des aspects techniques et financiers, des radars mobiles et la ferme des mille vaches par exemple, sans réflexion sur le sens pris aujourd’hui par les activités en question. Les efforts consentis pour cette modernisation restent vains, malgré quelques progrès ici et là, et la frustration ne peut que s’accroître, avec une formidable tentation de repli et de fuite en avant.

 

 

 

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