Echelle
L’heure est aux regroupements. Finies les petites unités, les petites communes et les petits services publics éparpillés, vive les grandes structures, solides, bien armées pour faire face aux défis du monde moderne. Small n’est plus beautifull, ça coûte trop cher.
L’action est menée rondement pour le secteur public. Pour les services de l’Etat, il faut faire des économies d’échelle. La réforme se traduit par une réduction du nombre des ministères, et des directions de ces ministères. Ce sont de grandes pyramides qui sont constituées, réunissant d’anciennes directions en une seule. Conception curieuse, voire anachronique, d’un état structuré en grands corps d’armée, là où le besoin d’imagination et de réactivité aurait plutôt laissé entrevoir une organisation en commandos, en équipes hautement motivées, autrement plus proches des réalités que peuvent l’être d’immenses directions hiérarchisées. Un pilotage efficace de l’administration n’est pas obligé de passer par un rassemblement formel. Il existe aujourd’hui d’autres méthodes de travail, de communication et de coordination des équipes que de les mettre toutes sous une seule autorité. Quand une politique est clairement fixée, il est possible de donner plus de liberté aux acteurs pour l’appliquer à leur manière, et c’est toujours plus efficace que d’imposer une solution unique. L’économie d’échelle comme objectif principal, c’est un peu maigre, et éloigné de la réflexion sur l’efficacité réelle de l’administration et son rôle dans la société. Le développement durable, c’est une bonne économie des moyens, pour répondre à des besoins. Pas sûr que la massification des services de l’Etat soit la meilleure réponse.
On parle aussi beaucoup des collectivités territoriales. Elles seraient trop nombreuses, imbriquées, aux pouvoirs partagés et redondants. Une bonne réforme de clarification et d’allègement de ces empilements d’autorités ne ferait pas de mal. Il règne une idée générale du gaspillage des ressources et des énergies auquel il convient de mettre un terme. Les petites communes n’ont guère les moyens de gérer les services publics, les hôpitaux et les tribunaux des petites villes ferment, il s’agit d’atteindre la masse critique pour un service de qualité. Sous-jacente, on trouve l’idée souvent distillée que l’avenir est dans les villes, que la population est appelée à s’y regrouper, et que le sens de l’histoire conduit naturellement à cette disparition progressive des services dans les petites villes et les villages. Une idéologie du regroupement à marche forcée est en train de naître, comme réponse aux défis du monde moderne. L’observation de la réalité montre que les campagnes se repeuplent, que des regroupements de services sont possibles et efficaces, que l’on peut organiser une mobilité originale et efficace. L’heure d’Internet et des télécommunications ouvre de nombreuses voies, travail à distance, bus à la demande, e-commerce, et ce n’est qu’un début. A ces moyens techniques nouveaux doit répondre une mobilisation des acteurs, pour s’en emparer et innover, trouver des réponses originales aux défis du 21e siècle. Attention à ce que le regroupement accéléré, avec hiérarchisation, ne vienne contrarier les bonnes volontés, les embrigader dans des structures certes plus importantes et mieux dotées, mais encadrées, enfermées dans des logiques trop bien huilées et éloignées des réalités. La bonne échelle est variable selon l’objet, et une conjugaison d’échelles est inévitable. Les acteurs locaux ont besoin d’être aidés, stimulés, mis en réseaux. En faire des vassaux, dépendants des étages supérieurs, n’est sans doute pas la meilleure manière de les entraîner dans un vaste mouvement d’innovation sociale dont ils doivent être des acteurs de premier plan. L’organisation française des pouvoirs locaux est souvent critiquée, et elle présente bien des défauts, mais faut-il l’abandonner, avec ses atouts liés à la proximité et à l’engagement personnel, ou s’attaquer aux défauts proprement dits. Encore une histoire de bébé et d’eau du bain.
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