Colonies
La colonisation provoque, à juste titre, un sentiment de culpabilité, mais la culpabilité ne résout rien pour l'avenir. Quel état d'esprit adopter pour surmonter cette contradiction ?
La colonisation est un drame humain. C’est aussi une aventure économique. Phénomène caractéristique du mode de développement par expansion. Pour accroître ma richesse et mon influence, j’étends mon territoire, et j’exploite les ressources d’autres pays, y compris humaines, que je ramène chez moi. A certaines époques, la richesse de la France s’est accrue par une amélioration de la productivité de son propre territoire, en protégeant les arts, les sciences et les techniques. Moyen-âge et Renaissance en fournissent deux illustrations frappantes. Mais en d’autres temps, il a semblé plus facile de s’enrichir par l’appropriation des richesses des autres, à conquérir grâce à une supériorité militaire. Plutôt que de valoriser au maximum mes propres ressources, je vais prélever celles de pays plus faibles, je vais toujours un peu plus loin. Comme le monde est infini, et que la force que j’utilise est bien sûr au service de Dieu, ça ne pose pas de problème. Le colonialisme est en marche.
Cet état d’esprit n’est pas mort. On le retrouve, de manière traditionnelle, dans le maintien d’une relation économique de dépendance vis-à-vis des grandes puissances. Il est aussi présent dans l’espoir cultivé par certains de trouver sur Mars ou une autre planète les ressources dont les terriens ont besoin. Ne parle-t-on pas de conquête de l'espace, plutôt que d'exploration ? Mais retenons l’essentiel, une colonie c’est fait pour rapporter des richesses à la métropole. L’esclavage, les transferts massifs de population, les souffrances accumulées, ont été la conséquence de cette manière de concevoir le développement.
Les temps ont changé, et il résulte de l’époque coloniale, chez beaucoup de nos concitoyens, un sentiment de culpabilité. L’outre-mer, autrefois taillable et corvéable, est devenu un devoir, une obligation de réparer. Toutes les raisons sont bonnes pour l’assurer, et on parle de solidarité, d’insularité, de continuité territoriale, de repentance, de mémoire, sans oublier la liberté, l’égalité et la fraternité. La République une et indivisible s’y exprime comme en métropole, et nos ancêtres les gaulois ont laissé la place à un ensemble de dispositions, qui, même aménagées, sont parfois bien loin des réalités, comme le RMI attribué aux indiens de la forêt guyanaise, faisant souvent plus de mal que de bien.
Culpabilité et repentance ne sont pas bonnes conseillères. Encore une fois, ces sentiments sont centrés sur la métropole, c’est la bonne conscience et le sommeil des Français d’Europe qui est en jeu, bien plus que la valorisation du potentiel de ces pays et de leurs populations, et au-delà leur nouvelle place à faire émerger dans notre économie et notre organisation sociale.
Ces pays ont une situation particulière. Ce sont des pays charnière, et toute la science de l’écologie met en évidence la richesse de ces territoires tampons, à la lisière entre deux mondes. C’est cette richesse qu’il faut révéler et exploiter, c’est beaucoup plus intéressant qu’une simple mise en coupe réglée de la forêt et des champs de canne à sucre. Une richesse qui ne peut se manifester sans le potentiel humain et culturel de ces territoires. Celui-ci fait partie, à l’évidence, de cette lisière qui n’est pas que physique, et qui comporte des aspects sociaux, politiques et historiques. L’outre-mer perçu comme une charge, un héritage dont on ne saurait se défaire, un reste ou plutôt un témoignage de l’ancienne puissance coloniale de la France, voilà une vision bien peu durable, car conservatrice et ancrée essentiellement dans le passé.
Il en est de même du développement durable, souvent considéré comme une obligation, avec immédiatement les questions : Combien ça coûte, et qui va payer ?
C’est que l’obligation d’intégrer la croissance économique dans une perspective élargie est souvent accompagnée, comme pour la décolonisation, d’un sentiment de culpabilité. Nous avons détruit de nombreuses espèces, et nous continuons encore ; nous mettons la planète en danger. Les inégalités s’accroissent, les restos du cœur et Emmaüs sont plus que jamais d’actualité. Nous avons bien des choses à se faire pardonner, tant du côté environnement que du côté social. Bien sûr, c’est vrai, tout comme l’esclavage est douloureusement inscrit dans notre histoire. Mais il faut dépasser ces sentiments mêlés de peur et de culpabilité, pour regarder l’avenir. Le nouveau regard que le développement durable impose pour l’organisation de la vie économique, loin d’être plaintif et malheureux, doit être offensif et ambitieux. De plus en plus de rapports et d’études signés de grands noms de l’économie comme Nicholas Stern montrent que les changements d’attitude et de référence auquel les sociétés occidentales sont confrontées peuvent devenir de véritables chances à saisir.
De même les anciennes colonies françaises, conservées avec des statuts de départements ou de territoires, peuvent être considérées comme des chances, et non des charges ou des obligations d’aides massives qui seraient nécessaires pour maintenir à la France son statut de puissance mondiale.
Faut-il pour cela changer de regard sur ces pays et leurs populations. Le pays qui a la plus longue frontière avec la France est le Brésil, un pays destiné à un brillant avenir nous dit-on. Il y a peut-être une opportunité à saisir, et faire de la Guyane un poste avancé vers cette Amérique du Sud au potentiel formidable, un lieu de transposition aux climats tropicaux des savoirs faire français. Un sas entre l’Europe et l’Amérique du Sud. Les Antilles sont une porte d’entrée majeure vers la zone Caraïbe et l’Amérique centrale, et constituent un creuset pour allier les cultures européennes, américaines et africaines. Un véritable porte-avions français vers l’Amérique pourrait-on oser en abusant du vocabulaire militaire, alors qu’il s’agit ici de développement et de progrès social. La Réunion est de son côté une fenêtre vers le continent indien, également promis à un grand avenir.
Le développement durable a ceci de formidable, il nous offre une chance unique de voir le monde autrement. C’est une recherche permanente d’opportunités, de valorisation, qui exige de replonger dans l’épaisseur des phénomènes pour y trouver de nouvelles richesses. La colonisation et l’esclavage ne peuvent sortir de nos mémoires, mais ils doivent être dépassés. Puisse l’outre-mer connaître un développement durable. C’est mieux que l’alternance entre exploitation et compassion.
Chronique mise en ligne le jour de la fête nationale, le 14 juillet 2008
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