Vertu
On vit une époque formidable, pour reprendre l’expression popularisée par Reiser. La vertu est hors de prix ! Pendant que certains chipotent sur le principe pollueur payeur, on voit chaque jour à l’œuvre le paradoxe du vertueux payeur : Vous voulez de l’électricité produite à partir de sources renouvelable ?
Pas de problème, ça s’appelle de l’électricité verte, les fournisseurs peuvent vous en livrer, mais vous la paierez plus cher que l’électricité ordinaire. Vous vous sentez coupable de prendre l’avion, qui va consommer, pour votre voyage, des quantités de kérosène, et produire des gaz à effet de serre en proportion ? Les compagnies aériennes ont trouvé la solution. Elles proposent à leurs clients qui le souhaitent de payer un supplément pour reconstituer un potentiel carbone. Sans parler de la taxe « sociétale », payée par les rabat-joie qui demandent à leurs proches d’éteindre la lumière en quittant une pièce, ou de ne pas mélanger tous leurs déchets dans le même conteneur.On peut considérer qu’un supplément est normal si le consommateur, qui est également usager, bénéficie lui aussi d’un avantage en récompense de son effort. Il peut faire des économies financières à terme, ou obtenir une meilleur qualité de service. Les exemples sont nombreux : la bouffe bio, la HQE, haute qualité environnementale des bâtiments, les ampoules basse consommation, etc. En revanche, si le consommateur n’a qu’une satisfaction morale, n’est pas la porte ouverte au cynisme ? Et en plus, on peut craindre que ça ne marche pas longtemps. Le principe pollueur payeur est plus normal et vertueux dans son fonctionnement que le vertueux payeur… Certains objectent que le principe pollueur payeur équivaut à acheter un droit à polluer, et que les riches peuvent ainsi continuer à envahir la planète de leurs rejets de toutes sortes. C’est oublier que polluer est une chose normal, inhérente à la vie et au métabolisme des êtres vivants. L’important est dans la suite, c’est d’entrer dans un cycle vertueux où la pollution (les rejets) soient recyclés, et pour cela créer les mécanismes qui permettront de financer de bouclage de la boucle. Polluer, c’est consommer du potentiel de régénération ou de stockage, et il est normal de payer pour cette consommation.
Le développement durable est souvent symbolisé par l’image des 3 cercles, environnemental, social et économique. La vertu se situe à l’intersection des trois cercles, et mener une politique de développement durable consiste à faire tout son possible pour qu’ils se superposent au maximum. Il faut faire vivre en bonne harmonie trois univers, avec des règles du jeu spécifiques, des logiques issues de siècles de conflits et d’équilibres instables. Ces règles du jeu sont le plus souvent très conventionnelles, issues d’arrangements et de choix politiques. Il n’y a pas de lois sociales ou économiques « naturelles », elles sont le fruit de conventions entre les hommes, parfois construites à partir de lois religieuses, inspirées par le divin mais pas naturelles pour autant. Chacun sait que les théories économiques ne fonctionnent que dans des univers parfaits, qui n’existent pas, et que tout se gère dans la manière de traiter les écarts entre la théorie et ce que l’on constate tous les jours. Les théories ultra libérales n’ont de sens que si le marché est totalement fluide et transparent, ce qui ne s’obtient pas sans une intervention permanente de la puissance publique. De même, les politiques sociales sont multiples, pour parvenir à un résultat comparable. Selon les pays, par exemple, on alloue des bourses à des étudiants, ou on leur propose des prêts à long terme gagés sur l’investissement que constituent leurs études. Pour que tous atteignent un niveau de vie décent, on peut élever les revenus des plus pauvres, ou bien favoriser l’accès à des services essentiels, etc. Il y a plusieurs chemins pour se rapprocher d’objectifs économiques et sociaux, ce sont des choix politiques, au sens plein du terme. Certains peuvent ainsi croire que les deux cercles « humains », l’économique et le social, ont la responsabilité de migrer vers l’écologique, ce dernier étant régi par les lois de la nature, de la biologie, physique et chimie, par nature intangibles. Ce serait exonérer à bon compte l’environnement de ses responsabilités. Ce domaine là aussi peut évoluer, et contribuer à cette œuvre de superposition des trois cercles. Il faut pour cela considérer que la connaissance de la nature permet, par l’action humaine, d’enrichir cette dernière. L’histoire nous fournit des exemples bien connus, comme l’œuvre des moines qui créèrent des étangs pour le poisson du vendredi. Ces ouvrages, parfaitement artificiels, sont devenus le siège d’une exceptionnelle richesse biologique. On peut aussi citer les paysans qui créent avec le bocage un milieu lui aussi artificiel, pour des raisons économiques de limitation des propriétés, de protection du bétail, de lutte contre l’érosion et de fourniture de bois. Le génie écologique est une manière de faire en sorte que l’on puisse utiliser les lois de l’écologie pour faire converger les intérêts économiques, sociaux et environnementaux.
Trois cercles, symbolisant trois dimensions essentielles de la vie, que l’on pourrait encore démultiplier. Ce n’est qu’une image de la réalité, mais elle illustre le fait que les conventions qui régissent les relations entre les hommes, associées aux modes de production, de consommation, de vie, peuvent favoriser leur superposition, et faire en sorte que la vertu soit naturelle, qu’elle puisse s’exercer dans un univers assez large pour lui laisser une véritable liberté d’expression, sans être taxée pour autant.
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