Regard
Une loi sur l'adaptation au vieillissement est soumise au Parlement. Un vrai sujet de développement durable, pour lequel il est proposé de changer de regard.
Changer de regard sur le vieillissement. Tel est l’intitulé de la première vague de recommandations que le CESE(1) a proposé en mars dernier. Il s’agissait de donner un avis sur un projet de loi en préparation sous le titre : « Projet de loi d’orientation et de programmation pour l’adaptation de la société au vieillissement ». Un projet de loi présenté le 9 septembre à l’Assemblée Nationale. Bien sûr, il faut changer de regard sur les vieux et le vieillissement. Ce n’est plus une population à part, dont il faudrait prendre soin par charité ou par respect. Ce sont maintenant de gros bataillons, 15 millions de sexagénaires et plus aujourd’hui, qui pèsent de plus en plus lourds dans les équilibres sociaux. On parle beaucoup des équilibres financiers, et ils sont importants, mais gardons nous d’oublier les autres aspects de la question. Le poids des vieux ira grandissant si on ne les considère que comme des charges, et ce phénomène ne peut que provoquer des conflits de génération. Heureusement que les vieux sont aussi des consommateurs, ils contribuent de ce point de vue à l’économie et à la création d’emplois. La « silver économie » va les sauver du simple statut d’assistés.
Que les vieux puissent être aussi des producteurs est totalement occulté. Tout se passe comme s’il était convenu que les vieux n’apportent plus rien à la société. Ils ne seraient que des bénéficiaires d’aides diverses, et en aucun cas producteurs de richesses. Changer vraiment de regard, ce serait les voir comme des producteurs potentiels. Les vieux ont des compétences, des savoirs, des envies de faire. Comment les valoriser, tout en prenant en considération leur âge et les handicaps qui en résultent ? Comment les vieux peuvent-ils continuer à participer activement à la vie de la cité, comment leur offrir un statut de citoyen à part entière ?
Il ne s’agit pas de reculer l’âge de la retraite, pour gagner quelques années. Les conditions de travail des « actifs » ne leur conviennent plus, et ils ont légitimement obtenu le droit de travailler autrement. Certains métiers permettent de prolonger l’activité jusqu’à un grand âge, le célèbre architecte Oscar Niemeyer était encore à 100 ans devant sa table à dessin, mais c’est évidemment l’exception. Et même si on garde le même métier, on peut l’exercer différemment. Tel comptable se mettra au service d’une institution caritative par exemple. La période post retraite est souvent pleine. Les « vieux » sont encore pleins d’énergie, et ils l’utilisent de mille manières, rémunérées ou non. Ils procurent également des services aux autres générations. Leurs enfants et petits enfants, ou encore leurs parents, qui sont vraiment très vieux.
Le prolongement de l’activité, à un rythme et dans des contextes adaptés, présente de nombreux avantages : pour la société, qui trouve un appoint important, et qui le sera de plus en plus, à la création de richesses, souvent en plus de celles produites par les entreprises traditionnelles. Il y a des besoins considérables qui ne seront jamais solvables. Le marché ne peut satisfaire toutes les attentes, et l’apport des vieux peut être déterminant pour assurer le bien-être de certaines catégories de population.
On sait par ailleurs que l’activité est le meilleur rempart contre le vieillissement. Elle permet surtout de se sentir utile, de « garder le contact » et d’avoir une vie sociale, alors que l’isolement et la solitude guettent, qui conduisent rapidement à la dépendance.
On aurait pu croire qu’une loi sur l’adaptation de la société au vieillissement avait comme objectif d’offrir aux vieux un cadre qui leur permette de rester productifs à leur manière et à leur rythme. Une approche offensive et durable, qui aurait du s’inscrire dans une réflexion plus large de l’évolution démographique de notre pays et du monde. La place des jeunes et les migrations font bien évidemment partie du tableau, et isoler les vieux est la marque d’une étroitesse de vue. Le regard ne change pas vraiment. Le CESE propose de « Rattacher le ministère délégué aux personnes âgées et à l’autonomie à un ministère plus large de l’égalité et de la solidarité ». Ce serait abandonner toute idée d’une production sociale propre à cette classe d’âge, et isoler le vieillissement des autres aspects de la transition démographique que nous vivons, qui constitue un enjeu majeur pour lequel une vue d’ensemble est nécessaire pour élaborer une politique cohérente.
Tout se passe comme si la loi était une loi sur la dépendance. C’est comme ça que la presse en a rendu compte. Retarder la dépendance, en jouant sur des facteurs techniques, du type adaptation des logements et des transports aux handicaps de la vieillesse. Il le faut assurément, mais les facteurs indirects, tels que le maintien d’une place active dans la société, sont tout aussi importants. Un petit article, sur le statut de « volontaire civique sénior » dans les ONG, montre que la question n’a pas été complètement oubliée, mais elle est restée marginale.
La loi traite essentiellement d’interventions d’ordre fonctionnel, alors qu’il faut répondre à une question d’ordre sociétal. On est loin du compte.
La stabilisation de la population mondiale est notre avenir, et la France doit se placer dans cette perspective. Il en résulte un vieillissement inéluctable, et il faut s’y préparer dès maintenant, pour ne pas laisser cette charge à nos enfants. La question n’est pas seulement de retarder et de compenser les effets vieillissement, mais de donner aux vieux une position sociale qui les stimule et leur donne de l’énergie. C’est ça le nouveau regard attendu.
1 - Conseil Economique, Social et Environnemental
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