Procédure
Dans nos sociétés complexes, les procédures se sont multipliées. La créativité et la spontanéité en sont affectées. Faut-il tuer les procédures ?
La procédure a mauvaise presse. Lourde par définition, inadaptée, elle provoque des obligations d'intérêt douteux, et détourne souvent de l'essentiel : le projet, le sens de l'action. C'est le royaume de la technocratie.
Les procédures s'immiscent partout. Ce sont des règlements, des démarches d'assurance de la qualité, des systèmes de contrôle et des règles de l'art. Il faut bien s'y soumettre, mais, c'est bien connu, quand le chat n'est pas là, les souris dansent. Dès que le contrôle s'allège, un seul réflexe : contourner les procédures, oublier ces obligations stupides et retrouver la liberté de manœuvre. Enfin libres ! Et vous verrez la qualité, ce sera bien mieux qu'avec la procédure.
Nous sommes en présence d'un immense malentendu. La procédure est vécue comme une contrainte parce qu'on la considère comme une machine à penser à votre place. Pourquoi être intelligent, créatif, puisque la procédure vous guide pas à pas et vous dit ce qu'il faut faire, quand il faut le faire, et avec qui. Il est fréquent d'entendre, à l'issue d'une catastrophe, d'une bavure ou d'un dérapage dans le fonctionnement des institutions, que tout est dans l'ordre des choses : la procédure a été respectée. Bien sûr ce genre de déclaration ne peut que condamner la procédure, puisqu’elle est prise en défaut. Mais il convient de s'interroger, est-ce la procédure qui est mauvaise ou la manière dont elle est appliquée ?
Dans des opérations complexes, de plus en plus fréquentes dans notre société, il n'est pas toujours facile de trouver la bonne voie à suivre. Identifier les étapes et leur enchaînement, savoir à quel moment telle consultation doit être engagée, s'il y a des points particuliers qui méritent une attention et une décision collective, etc. Il est bien commode de disposer d'un guide, pour ne pas dire d’une recette, qui fournit toutes les indications utiles. Quand les enjeux dépassent les intérêts de l'opérateur, les pouvoirs publics ou les professions ont mis noir sur blanc ces indications. Ce sont les procédures.
L'étude d'impact sur l'environnement illustre parfaitement le malentendu. Le législateur en a confié la responsabilité au maître d'ouvrage, au responsable de l'opération. Rappelons que la première étape consiste en un diagnostic, et ce diagnostic a toute son utilité pour l'élaboration même du projet. Eh bien figurez-vous qu'il était très courant, et peut-être cette pratique n'est-elle pas encore disparue, que les études d'impact soient réalisées uniquement pour déposer le dossier administratif, une fois toutes les études terminées. Elles apparaissent alors uniquement comme une exigence supplémentaire, inutile puisque le projet est déjà tout ficelé. L'idée que cette étape de la procédure puisse apporter un plus à la qualité du projet est souvent ignorée ou rejetée des opérateurs. Dans ces conditions, la procédure n'est qu'un fardeau, elle coûte et ne rapporte rien à personne. On peut même ajouter qu'elle donne prise à d'autres procédures, devant les tribunaux celles-là, qui ne font que retarder le projet et alourdir son prix.
Dans les travaux, dans l'aménagement, les procédures proposent un cheminement. Elles évitent de passer à côté d'un enjeu particulier, qu'un enthousiasme ou une impatience bien légitimes pourraient faire oublier ou occulter. Elle conduit les opérateurs à intégrer d'autres intérêts que les leurs propres, ce qui peut paraître une contrainte mais préserve les intérêts de la collectivité. Elles sont nécessaires, même si, souvent, leur rigidité, voire leur inertie, les rend agaçantes, même si à certains moments, elles peuvent être un frein à l'innovation. C’est sur ce dernier point qu'il faut porter l’attention. Comment les faire évoluer en continu, comment les faire intégrer des préoccupations nouvelles, des techniques et des modes opératoires différents de ceux qui régnaient le jour de leur élaboration première.
Une autre dérive serait de penser que le respect de la procédure suffit à faire un bel ouvrage. Le respect de la réglementation, ou la conformité à des normes, un certificat, tiendraient lieu de brevet de qualité. La procédure se substituerait alors à l'intelligence. Il en est bien sûr rien. La procédure a, tout au contraire, l'intérêt de libérer l'intelligence de toute une série de problèmes courants, pour qu'elle se concentre sur les aspects innovants, la compréhension d'une situation particulière, les spécificités d'un projet. La procédure ne doit pas enfermer, elle doit libérer.
Cette perspective ne va pas sans effort de part et d'autre, de ceux qui rédigent les procédures comme de ceux qui les appliquent. Elles doivent être comprises de toutes les parties prenantes, y compris les personnes touchées indirectement par un projet. Elles doivent être vivantes, réactives, et offrir des échappatoires pour que l'innovation puisse s'exprimer, pour que les situations exceptionnelles trouvent des réponses exceptionnelles.
Chronique mise en ligne le 6 octobre 2012
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