Imprévu
L’anniversaire de Fukushima nous conduit à des réflexions, du type « imaginer l’imaginable ». Mais on a déjà bien du mal à accepter le prévisible, et même le prévu, qui devient de ce fait un imprévu.
Les évènements neigeux viennent illustrer notre difficulté à s’adapter aux caprices de la nature. Les phénomènes atypiques, rares par nature, sont insupportables. Nous voyons bien que les pays nordiques gèrent parfaitement ces conditions extrêmes , alors pourquoi pas nous ?
Nous sommes d’autant plus exigeants que ces phénomènes ne sont pas imprévisibles, ils ne sont même pas imprévus, et les alertes avaient été données bien avant qu’ils ne se produisent. Elles n’ont pas empêché que les naufragés de la route se multiplient encore une fois, comme pour les « épisodes » précédents. Fallait- interdire il à tout le monde de quitter sa maison ? Qu’est-ce que nous aurions entendu ! Quelle atteinte aux libertés, quel handicap pour l’économie, quel excès de pouvoir de la part des administrations, incapables de maîtriser le climat ! Les attaques contre la « Culture du parapluie » auraient été virulentes. Haro sur le principe de précaution, encore une fois paralysant ! Fidèles lecteurs de ce site, vous savez bien qu’il ne s’agit en rien du principe de précaution, et que tout cela relève de la prévention d’un risque avéré, mais les termes sont confondus allègrement, et l’opinion se serait facilement insurgée contre ces fonctionnaires qui ne veulent prendre aucun risque.
Fallait-il alors s’équiper pour faire face à ces intempéries ? Un chasse-neige pour chaque kilomètre de route, toujours prêt à intervenir, de l’été de la Saint Martin aux Saints de glace, pour parer à toute éventualité ? Les fabricants de chasse-neige en serait bien heureux, mais pas forcément les finances publiques, et par suite les contribuables. Le marteau-pilon peut écraser une mouche, mais ce n’est pas la formule la plus performante. Car les Investissements nécessaires, et la maintenance, la formation des hommes, et toute l’intendance qui les accompagne ont un coût, qui doit rester proportionné au problème. Le blocage des camions sur les routes a un coût, les salariés qui ne peuvent se rendre à leur Travail aussi, de même que les clients qui ne peuvent se rendre sur les lieux d’achat, mais le budget nécessaire pour assurer une mobilité absolue, et par tous les temps, de Dunkerque à Bonifacio, serait bien supérieur.
Il faut donc accepter les caprices de la nature, et vivre avec. Ils seront peut-être de plus en plus fréquents avec le changement climatique, ils prendront des formes variées, submersion, ouragans, etc. Dans un monde où l’on veut tout contrôler, où « l’imprévu n’existe pas » comme le disait Phileas Fogg dès 1873, un peu d’humilité ne serait pas de trop. Accepter une paralysie temporaire, accepter de ne rien faire ou de faire autre chose que ce qui était prévu, voilà une attitude bien douloureuse, en ces temps où la vitesse est portée aux nues. Pour les stades de football, on a trouvé une parade : on chauffe les pelouses. Une énergie considérable est dépensée pour y parvenir, et il est permis de se demander si c’est bien raisonnable. Décaler un match est-il tellement grave ? Est-ce si difficile de s’adapter aux aléas climatiques ?
L’imprévu, voilà l’ennemi, et il faut y ajouter tout ce que l’on n’a pas envie d’entendre, souvent annoncé mais refoulé, si bien que quand ces évènements se produisent, ils sont toujours imprévus. Le réchauffement climatique, la dégradation de la biodiversité, sont annoncés, mais ils nous prendront au dépourvu quand leur manifestation sera incontournable. Le Déni conduit à l’imprévu.
La capacité d’adaptation, l’attitude du roseau de La Fontaine, qui sait plier quand il le faut, n’est pas dans notre culture, où l’esprit de domination du chêne s’est installé. On le voit avec les énergies Renouvelables. Elles sont souvent critiquées du fait de leur caractère aléatoire. Vision très partielle, car les énergies renouvelables sont pour l’essentiel stockées, et valorisées en fonction des besoins. L’hydraulique et la biomasse, dont le Bois, constituent le gros de la ressource renouvelable, et on les mobilise quand on veut. D’autres, appelées à prendre progressivement de l’importance, sont cycliques mais régulières, comme les marées, parfaitement prévisibles, en temps et en amplitude. Le solaire photovoltaïque et le vent sont effectivement aléatoires, mais offrent de belles séries statistiques, et il serait dommage d’abandonner leur apport du fait de leur irrégularité. Ce sont des systèmes « intelligents » qu’il faut donc concevoir, qui savent s’adapter, prélever la ressource là où il est le plus malin de le faire à un moment donné. Même l’imprévu peut être géré, et mis à Profit dans un système fondé sur la souplesse et les facultés d’adaptation.
Le problème n’est pas l’imprévu, mais la rigidité de nos sociétés, et souvent de nos esprits. Changer ses plans semble inadmissible pour un esprit moderne. Voilà qui n’est pas très « durable ». Il y a un temps pour tout, y compris pour attendre les vents favorables.
Chronique mise en ligne le 17 mars 2013
Photo : Philip Bunkens / Unsplah
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