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Organisations sociales

Hors-jeu

La peur de l’autre et le repli derrière des frontières ou des murs de toutes natures sont des sentiments largement partagés dès que l’on se sent faible. Mais ils interdisent dans les faits l’exploration de nouveaux modes de développement qui nous redonneraient de l’espoir. Ceux qui s’estiment « hors-jeu » sont trop attachés au monde d’hier, idéalisé. Comment sortir de ce piège qui se resserre ?

Parmi les raisons du populisme qui se répand en Europe et dans le monde, il en est une rarement évoquée. Le sentiment de ne plus avoir du tout de maîtrise de son propre sort, d'être hors-jeu. Tout se décide ailleurs, il n'y a plus de repère fiable, ce sont les algorithmes qui décident, etc.
Les raisons en sont multiples. Elles ressortissent au temps et à l’espace.
Tout va trop vite. On ne comprend plus rien. Les règlementations sont revues à un rythme accéléré, et ne laissent pas le temps de s’adapter, ni même d’en comprendre le sens. Prenons conscience de la transformation gigantesque qui s’est produit en un siècle. La France essentiellement rurale et paysanne n’est plus ce qu’elle était, bien sûr, mais ça s’est passé très vite. En une génération, les villages se sont vidés, les banlieues ont explosé et le lien ancien avec le territoire a disparu. Nous devrons à l’avenir changer plusieurs fois de métier au cours de notre vie, alors que depuis toujours le métier était un état stable, qui nous donnait notre position sociale une fois pour toutes. Et les techniques changent, l’informatique a bouleversé les manières de travailler, l’automobile et l’avion nous offrent des possibilités de mobilité aux conséquences multiples, et demain l’intelligence artificielle se substituera à nos emplois tertiaires, même les plus sophistiqués comme la médecine ou l’enseignement, de la même manière que les machines se sont substituées aux ouvriers. Sans parler des algorithmes, qui envahissent notre quotidien et décident à notre place.
Ne nous trompons pas, ces évolutions sont pour la plupart souhaitables, ce sont des aubaines qui nous permettent de travailler moins, de vivre mieux et plus vieux. Mais il faut du temps pour les digérer, notamment pour les personnes les plus éloignées de la sphère du progrès. Il faut faire le tri et fixer les « règles du jeu » qui réguleront nos comportements dans ce contexte sans cesse en évolution. Meunier, ton moulin va trop vite ! sans doute mais c’est inéluctable, alors comment en tirer profit ?
Et puis, il y a la mondialisation. Celle-ci existe dans les faits, qu'il s'agisse de commerce ou de climat, de football ou de prises de pêche. Nous ne reviendrons pas dessus, et reconnaissons qu’elle nous apporte des richesses et du plaisir. Il vaut mieux l'organiser que de laisser le plus fort gagner, avec la crainte que "the winner take all" et de voir les inégalités s'accroître inexorablement à travers le monde et au sein de chaque pays. Mais en attendant, le sentiment est que tout nous échappe, que les centres de décision sont à l’autre bout du monde. Et on en rajoute. Pour faire face à la mondialisation, il faut être puissant, donc plus gros. Vive les grands groupes, les champions de notre économie, même si ce sont les PME qui constituent notre ADN et la source première d’emplois et de vitalité des territoires. Vive les grandes régions et les grandes villes, les métropoles, en dehors desquelles il n’est point de salut. Le discours sur les petites villes et les campagnes ne parvient pas à masquer la désaffection dont elles sont l’objet. L’Etat lui-même se constitue en grands unités, que ce soit à Paris ou dans le territoire, avec des structures pyramidales d’un autre temps, mais qui donnent l’impression de puissance et d’efficacité accrue. Cette vision est bien sûr schématique mais je force le trait à dessein, car elle reflète le sentiment partagé du plus grand nombre, du moins de tous ceux qui se sentent hors-jeu et sont sensibles au discours populiste de repli sur soi.
 Le résultat est un sentiment de peur de l'avenir. Chacun voudrait que, par un coup de baguette magique, tout redevienne comme avant, même si objectivement notre sort est plus enviable aujourd'hui qu'hier. Lutter contre le populisme ne consiste donc pas en une dénonciation du comportement général de repli sur soi et de peur de l’autre qui en résulte, et encore moins d’une « lèpre ». Il vaudrait beaucoup mieux donner confiance en soi à tous ceux qui se sentent hors-jeu. Leur redonner du pouvoir, non pas d'achat, mais de vivre pleinement et de décider de ce qui les concerne au quotidien. Reprendre la main sur leur cadre de vie immédiat et de proximité, à défaut de maîtriser les grands évènements planétaires, géopolitiques, voire tectoniques. La tendance à la concentration et à la constitution des grandes structures, au détriment des unités plus modestes mais aisément accessibles, va à l'inverse de cette aspiration, et contribue à cette explosion du sentiment d'abandon qui fait tant de mal.
Il faut donc jouer sur les deux tableaux. D’un côté la maîtrise du temps, anticiper les transformations, y préparer nos esprits, proposer des points de repère stables, notamment culturels. Et puis réserver la tendance au XXL à ce qui le mérite vraiment, en préférant des organisations horizontales, coordonnées grâce à Internet et aux moyens modernes de communication. Redonner du pouvoir aux échelons de proximité, favoriser les circuits courts qui satisfont les besoins usuels et qui créent du lien.
Les deux orientations ne sont pas contradictoires, elles doivent être conjuguées ensemble. L’exemple du micro-crédit est éloquent à cet égard. Loin de produire du repli, il prépare les plus faibles à revenir dans le monde réel en leur donnant les moyens de se remettre à niveau. Si une réforme de nos institutions est nécessaire, c’est bien sur ce point qu’elle doit porter : Tenir les deux bouts du développement, de l’infiniment grand à l’infiniment petit. « En même temps », pour être politiquement correct, jouer dans la cour des grands avec des points forts s’appuyant sur notre culture et nos savoir-faire, et redonner aux communautés locales les moyens de se développer à leur manière, sans contrôle d’un Etat omniprésent et désireux de garder le contrôle de tout ce qui se passe en France. Un projet gagnant-gagnant, n’excluant personne et ouvert sur le monde. Un projet de développement durable.
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