Frileux
En ces périodes de crise, il est de bon ton de trouver des boucs émissaires et des explications définitives. Le principe de précaution est une des victimes toutes désignées de ces errements, qui cachent le plus souvent une réelle frilosité.
Est-ce l’effet de l’âge ? Nos sociétés sont frileuses. Il pourrait s’agit de thermique, il faudrait alors chauffer les logements au-delà des 19° officiels, mais nous parlerons ici d’attitude face à la vie. Nos sociétés ont peur de l’avenir, elles se recroquevillent sur elles-mêmes, et ne voient plus passer les opportunités que le monde leur offre. Le principe de précaution est ainsi érigé en vertu cardinale, et devient la référence pour toute prise de décision.
Cette observation éclaire notre interprétation de l’attitude face à ce principe, dont le rejet est bien porté dans certains milieux, les « entrepreneurs » et les chercheurs notamment. Débarrassons-nous de ce principe qui nous empêche toute prise de risque, et par suite toute innovation, toute initiative d’explorer des champs nouveaux. Haro sur le principe de précaution.
Pauvre principe, qui cristallise ainsi un débat qui n’a rien à voir avec lui, tel qu’il a été rédigé et intégré à notre droit. C’est ce que des membres éminents de la Fabrique de l’Industrie (1) ont mis en évidence dans une note Précaution et compétitivité : deux exigences compatibles ? (2) présentée à la Sorbonne le 7 octobre 2014. En voici quelques morceaux choisis, repris du site de la Fabrique de l’Industrie.
« Pourquoi le débat porte-t-il toujours sur l’existence du principe de précaution alors que tout le monde s’accorde sur le fait qu’il faille seulement améliorer son application ? » En interpellant ainsi les orateurs à la tribune, Géraud Guibert, président de La Fabrique écologique, résume de nombreuses interrogations soulevées au cours de la conférence.
Michel Boucly directeur général adjoint de Sofiprotéol, avait rappelé plus tôt que « le problème n’est pas le principe de précaution en tant que tel mais son application au sein de notre société. » Pour Stéphane Foucart, journaliste au Monde, « l’invocation abusive de ce principe est révélateur du manque de confiance de la population dans les institutions. » Dans ce contexte, l’urgence consiste donc à redonner confiance dans la capacité des acteurs – publics et privés – à agir efficacement dans les situations marquées par des incertitudes. Cet environnement apaisé doit en particulier permettre aux pouvoirs publics de prendre des mesures proportionnées et provisoires pour éviter la réalisation d’un dommage, tout en minimisant leur impact sur l’activité économique. Car comme l’a indiqué Maryse Deguergue, professeur de droit à l’université Paris I Panthéon-Sorbonne, « les excès de la précaution ne viennent pas du principe de précaution mais de réactions exagérées des autorités face aux inquiétudes de la population. »
Le problème ne réside donc pas dans le principe, dont chacun reconnait l’utilité, mais dans l’état d’esprit dominant dans notre société. Plus de confiance dans l'avenir, ni dans ses partenaires potentiels, notamment les pouvoirs publics. L’ardeur que montrent certains à lutter contre le principe de précaution ne fait que détourner sur les institutions un problème qui trouve son origine dans nos mentalités. Celles-ci ont été marquées par nos fastes passés, la puissance coloniale et les 30 glorieuses. La nostalgie entraîne une sorte de morosité, vite déclinée en frilosité. Tout va mal, c’était bien mieux avant, on ne peut plus rien faire ! Ajoutons une hypothèse souvent avancée, celle d’une France de rentiers, plus encline à encaisser les dividendes hérités du passé que de prendre des risques pour entreprendre et préparer l’avenir. Une hypothèse qui ne peut couvrir l’ensemble des mentalités mais qui explique surement la résistance au changement manifestée par beaucoup dans notre pays, y compris de nombreux industriels qui ont fait fortune sur des technologies obsolètes, ou dans des secteurs qui ne survivront pas sans profondes transformations. Les puissance d’aujourd’hui se sont construites sur l’économie d’hier, notamment assise sur l’exploitation des énergies fossiles, et tentent désespérément de prolonger cette ère bénie. L’esprit d’entreprise est bien loin !
Il résulte de tout cela une frilosité face au futur, et c’est cette frilosité qu’il faut combattre. Le développement durable est affaire d’entrepreneurs, de vrais entrepreneurs, qui explorent des terres vierges, des procédés innovants. Le principe de précaution trouve tout son sens dans cette recherche, qui expose la société à des risques inédits, qui, quand ils s’avèrent graves et irréversibles, doivent faire l’objet d’une réflexion collective.
Combattre la frilosité ne se fait pas en agitant le spectre de la catastrophe. Bien sûr, l’humanité entre dans une période à risques, et il faut en avoir conscience. Mais il s’agit de construire une société sur de nouvelles bases, compatibles avec la « finitude » du monde. C’est en ouvrant des perspectives, en encourageant l’innovation, et en proposant de nouveaux repères pour définir le « progrès » que la frilosité ambiante reculera.
1 - http://www.la-fabrique.fr/
2 - Disponible sur http://www.la-fabrique.fr/Ressource/precaution-et-competitivite-deux-exigences-compatibles
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