Crime
La criminalité organisée se glisse dans toutes les failles qu’elle peut trouver. L’environnement est un domaine où le crime semble payer. Il est devenu un champ de manœuvre des mafias.
Le droit français de l’environnement est conséquent, mais il a un parent pauvre : le droit pénal. Un seul « crime » y figure, le terrorisme écologique, alors que la criminalité environnementale dans le monde est parvenue au pied du podium : c’est la 4e par les volumes d’argent qu’elle brasse.
Un quart de la criminalité organisée connue. Pour ne prendre qu’un exemple, le trafic de corne de rhinocéros rapporte deux fois plus que celui de cocaïne.
Peut-être est-ce cette constatation qui a conduit l’assemblée générale des Nations Unies à adopter le 30 juillet dernier, à l’unanimité, une résolution « exhortant les Etats membres à prendre des mesures pour combattre le trafic illicite d'espèces sauvages, notamment en renforçant les législations nationales et la coopération régionale ».
Le trafic d’espèces sauvages est en effet une des formes de cette criminalité. Il s’agit d’animaux, des gros et des petits, comme les éléphants et les perroquets, mais aussi de végétaux, de bois précieux par exemple. Il y a bien d’autres manières de perpétrer des crimes environnementaux. Les prélèvements illégaux de ressources peuvent se faire de mille manières, de même que les rejets dans l’environnement de substances indésirables. L’ouverture d’une mine – une mine d’étain par exemple - dans un secteur sensible, souvent illégale et en dehors de toute procédure, en est une, comme la pêche illégale. Le volume de cette dernière est supérieur à ce que l’on estime comme « sur pêche », la pêche au-delà de ce qui serait raisonnable pour maintenir les populations de poissons. Le braconnage maritime constitue une atteinte à l’environnement, et à une activité économique, ainsi fragilisée. Le développement durable apporte des doubles dividendes, et le non-développement durable produit des doubles pénalités. La lutte contre la pêche illégale ouvrirait aux pêcheurs « responsables » des marges de développement au fur et à mesure que les stocks de poissons se reconstitueraient.
Restons en mer. En face de cet exemple négatif, des mesures constructives ont été prises, ce qui montre bien qu’il n’y a pas de fatalité. Comme d’habitude, on constate qu’il s’agit de volonté politique avant tout, car il faut y mettre des moyens et, surtout, s’accorder entre les pays concernés. L’exemple favorable concerne les dégazages en mer. Il était courant que les cuves des bateaux soient rincées en mer, parfois non loin des côtes ce qui provoque des pollutions marines et des marées noires d’importances diverses. L’action internationale s’est mise en route, avec des règles partagées, des contrôles et des sanctions harmonisés et à des niveaux dissuasifs, des équipements dans les ports, des moyens techniques et policiers d’observation des bateaux et d’intervention. Il a fallu quinze ans peut-être, mais le résultat est là. Une pratique autrefois courante s’est progressivement réduite et est devenue aujourd’hui exceptionnelle.
Il n’en reste pas moins que la criminalité environnementale, dans sa diversité, se porte bien, une hausse de 20% par an en France ces dernières années. Les raisons en sont bien connues, la faiblesse des sanctions et l’importance des profits. Ajoutons le défaut d’harmonisation des règles, des contrôles et des sanctions d’un pays à l’autre, y compris en Europe, qui provoque la création de réseaux internationaux de trafiquants. Une réaction internationale était donc nécessaire, et Interpol s’est doté depuis quelques années d’une équipe dédiée aux crimes environnementaux. Il convient de préciser que ces crimes ont de multiples conséquences. Pour l’environnement, bien sûr, mais aussi pour la santé publique, avec des pollutions redoutables et le risque de contamination de virus dans des filières non contrôlées, pour l’économie, avec les distorsions de concurrence induites par le non-respect des lois, et pour bien d’autres problèmes de géopolitique : l’argent gagné, de l’argent sale, enrichit des mafias. Il est réinvesti dans d’autres trafics, voire dans des actions terroristes. Des dizaines de milliards d’euros polluent ainsi la sphère financière avec tous les problèmes induits que vous imaginez.
Les déchets constituent un autre domaine important de criminalité environnementale. La presse a souvent pointé le projecteur sur des situations inacceptables, avec des morts entrainées par des substances dangereuses. L’amiante des navires démontés sans précaution a été citée à maintes reprises, tout comme les déchets électroniques, issus d’appareils démontés par des enfants. Ce ne sont que des exemples, et le sujet est ancien. Rappelez-vous le déversement en mer des boues rouges, les bateaux chargés de déchets toxiques et renvoyés de port en port, et les décharges sauvages dans nos forêts. La bonne santé de nos mers et de nos rivières en est menacée, et par suite leur productivité. Les déchets électriques et électroniques font l’objet d’une réglementation stricte en Europe, avec une directive dédiée à ce sujet. Malgré ce dispositif, on estime que 16% de ces déchets quittent illégalement le territoire européen pour être traité hors de tout contrôle.
Selon une communication du 7 mars 2012 de la commission européenne relative à l'amélioration de la mise en œuvre du droit de l'environnement au sein de l'union européenne, les défauts d'application des réglementations entraînent un coût évalué à 50 milliards d'euros chaque année. Ce n’est pas uniquement le fruit d’une criminalité environnementale, car il faut comprendre dans cette masse les multiples fraudes qui relèveraient plus du tribunal civil que du pénal. Ce montant n’est pas pour autant anodin, il représente un bon tiers du budget de l’Union Européenne…
La délinquance environnementale sous toutes ses formes est devenue un enjeu majeur dans nos sociétés. De la santé humaine aux dégradations irréversibles de la productivité de la planète, en passant par les atteintes au bon fonctionnement des activités économiques, l’éventail des conséquences de cette criminalité est large. L’absence de réactions, ou leur faiblesse, favorise la croissance de ces pratiques, que nous observons à toutes les échelles. Le laisser faire coûte cher. Depuis quelques années, les autorités nationales, européennes et internationales s’organisent, mais il y a encore bien du chemin à faire, et à faire vite.
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