Cloisonnement
L'approche globale, multicritères, ou encore systémique que demande le développement durable a un ennemi : le cloisonnement. Il peut être utile pour progresser sur certains points particuliers, mais il faut s'organiser pour ne pas en devenir la victime, si l'on veut jouer à fond la carte du "double dividence".
Ouvrir le champ du possible, une nécessité pour inventer un avenir « durable ». La recherche de « doubles dividendes » permet de faire des choix impensables si on ne « consolide » pas un ensemble d’effets positifs, qui peuvent se manifester sur des terrains bien différents. Le « double dividende » n’est pas évident, il faut le mériter. A l’inverse, le cloisonnement, si fréquent, est un redoutable facteur de contre-performance. Un exemple parmi d'autres, d'autant plus fort qu'il concerne le même domaine, le bâtiment. L'action vigoureuse d'isolation thermique lancée dans les années 1970 en réaction aux chocs pétroliers n'a intégré ni la dimension acoustique, ni la qualité de l'air intérieur. On a pu voir des ensembles immobiliers proches d'autoroutes faire l’objet d’importants travaux d’isolation thermique sans amélioration aucune au plan acoustique, parfois même avec des dégradations. Il a fallu, après des années de procédures, recommencer sur les bases d'un programme de lutte contre le bruit, au prix fort, alors que l'isolation acoustique aurait parfaitement pu être intégrée à la phase thermique à un coût supplémentaire très modique. Sans parler du coût social, pour le bruit supporté pendant 20 ans par suite de l'incohérence dans les investissements. La question de la qualité de l'air relève surtout d'une faiblesse des dossiers techniques d'isolation. Mais quand la solution à un problème (thermique en l'occurrence) est à l'origine d'un autre problème (qualité de l'air intérieur), on est loin du "Gagnant-gagnant". On peut aussi évoquer, toujours pour le bâtiment, la solution des petites fenêtres, toujours pour des économies d’énergie. Une qualité venait ainsi à l’encontre d’une autre, celle de la lumière du jour, du plaisir de la vue sur l’extérieur. De nouvelles conceptions architecturales, associées à de nouveaux produits, fenêtres, vitrages, permettent de sortir de la contradiction « par le haut », avec de grandes fenêtres très efficaces thermiquement parlant, tout comme on sait renouveler l’air intérieur en limitant les déperditions énergétiques.
Autre exemple, qui a donné lieu à une réponse originale : les déviations routières. Destinées à détourner la circulation des centres villes, elles avaient deux objectifs : faciliter le circulation de transit, et rendre plus agréable la vie dans les centres. Deux objectifs complémentaires, mais qui répondent à des impératifs fonctionnels différents. Le résultat était souvent décevant. Une partie du flux de circulation était bien dérivé, mais il en restait une partie substantielle dans le centre ville. L'allègement du trafic perçu dans un premier temps appelait de nouvelles voitures. Bref, très rapidement l'amélioration attendue était limitée à un des deux objectifs poursuivis, faute d'avoir pris en charge les deux simultanément. Il faut "aller chercher" le double dividende. Il n'est pas spontané.
Des programmes successifs d'expérimentation ont permis, il y a quelques années, de définir des modes d'action efficaces des deux points de vue, mais la diversité des acteurs, Etat, département, ville, ne permet pas toujours de coordonner les efforts. Les acteurs privés sont sans doute mieux placés pour bénéficier du double dividende, l'autorité et le pouvoir de décision étant plus concentrés. En cherchant à lutter contre l'effet de serre, les Trois Suisses ont économisé sur leurs dépenses de transports (approvisionnements et livraisons). Par exemple, le regroupement des expéditions de plusieurs sociétés du groupe a permis une nette amélioration du coefficient de remplissage des unités de transport. Résultat : une diminution de 15% des émissions de CO2 par colis livré. Un gain sur deux tableaux, l’environnement et l’économie de l’entreprise. Mais là encore, le double dividende n’est pas tombé du ciel. Il a fallu le chercher, et mettre en place un mode d'organisation qui le permette, ce qui est déterminant sur la capacité d'une entreprise à gagner sur plusieurs tableaux simultanément.
Chronique mise en ligne le 7 juin 2006, revue le 23 juillet 2011
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