Change
Un phénomène s’est installé récemment en France : la pétition en ligne. Nouvel instrument de démocratie directe, « pour que ça change », dont il faut prendre toute la mesure.
360 000 signatures. Réunies en 3 mois, provenant des pays de l’Union Européenne, elles ont obtenu l’interdiction de produits réputés dangereux pour les abeilles. Et donc pour les hommes, car vous le savez bien, quand il n’y aura plus d’abeilles, l’humanité ne survivra que 4 ans, selon Albert Einstein. Les pétitions se modernisent, et se mettent à l’heure d’Internet. Vous serez sans Doute encore sollicités dans la rue, ou à l’occasion d’une manifestation particulière, mais ce n’est plus là que ça se passe. Change.org a changé la donne.
Il a fallu 5 ans pour que le Mouvement, né aux Etats-Unis d’Amérique, ne parvienne en France, dans le courant de l’année dernière. Lancé en 2007 par des étudiants américains, il est aujourd’hui présent sur 4 continents, et enregistre des succès considérables : meilleur score obtenu en Allemagne, en 2012, avec plus de 4 millions de signatures pour une affaire de droits musicaux. Le bon Usage de l’Argent public a fait l’objet d’une pétition de ce genre à Marseille, pour demander à la Ville de ne pas subventionner un concert (40 000 signatures). L’Environnement est un des domaines favoris de ces pétitions d’un nouveau type. Celles-ci ne s’adressent pas qu’aux Pouvoirs publics, elles émettent des messages à de grands groupes industriels. Un exemple fameux concerne nos chaussures. Les français en sont de gros consommateurs, les 2es plus importants au monde avec 6 paires et demie par habitant et par an. Ces chaussures sont pour une part (13% selon l’association Envol Vert) fabriquées avec du cuir en provenance de pâturages constitués par déforestation.
Nos chaussures contribuent à l’effet de serre et à l’appauvrissement de la biodiversité. Ce serait un point faible de la marche à pied, dont on connait par ailleurs toutes les Vertus, s’il n’y avait pas de Moyens d’échapper à cette fatalité, en choisissant des chaussures dont le cuir est « responsable », ou du moins pas néfaste. Change.fr a transmis le message aux fabricants, par le truchement d’une pétition qui a réuni plus de 26 000 signatures, adressées au leader du marché en France, Eram. Début mars 2013, cette société s’est engagée sur « zéro cuir » en provenance des élevages sensibles, et le message a bien sûr été entendu par d’autres fabricants. Une stratégie de la Contagion qui semble fonctionner.
La pétition moderne, digitale, est donc promise à un bel Avenir. Elle s’exprime sur des problèmes généraux comme l’usage de pesticides ou la lutte contre la corruption, aussi bien que sur des objets locaux, comme des dépenses budgétaires de collectivités ou des projets d’aménagement. Sur ce dernier point, Internet est déjà mis à contribution depuis pas mal d’années. De nombreuses Enquêtes publiques offrent à tous ceux qui s’intéressent à une opération la possibilité de s’informer et de s’exprimer sur des sites ad hoc. Parfois, ce sont des sites interactifs qui permettent de suivre en direct l’évolution d’un Ouvrage aux différentes Etapes de sa construction. L’informatique a ouvert un champ extraordinaire aux échanges, elle répond à un besoin mais elle l’accentue du même coup. La pétition en Ligne constitue une nouvelle avancée : elle facilite cette forme d’expression des citoyens.
La question de la facilité n’est pas anodine. C’est parce que l’eau et l’énergie sont faciles à utiliser, et bon marché, que l’on a été vers des excès et pris de mauvaises habitudes de Consommation. La facilité doit s’accompagner d’une discipline, et même d’une Ethique. Cela vaut pour la démocratie directe comme pour l’accès aux services publics. A défaut, la quantité de pétitions en provoquerait le rejet, comme les nombreux messages indésirables qui agressent nos ordinateurs. Trop de pétitions tue la pétition pourrait-on dire. On voit aussi le Risque de circulation de fichiers d’adresses. La sensibilité et les Centres d’intérêts des internautes seraient ainsi répertoriés par des officines indélicates, et exploités à des Fins bien éloignées des causes qui auraient motivé une pétition. La nécessité d’une médiation pour la mise en ligne de pétitions semble incontournable pour éviter une marée, voire un raz de marée, et apporter la sécurité aux signataires. C’est la mission de sites dédiés comme change.org d’apporter cette médiation, en complément de la facilitation de la diffusion du message.
Ces Précautions étant prises, il reste que la démocratie directe n’est pas infaillible. Elle tend à affaiblir les « corps intermédiaires ». C’est bien quand ces derniers sont trop frileux, ou incapables de se projeter dans l’avenir, d’intégrer de nouvelles Valeurs sociales. C’est dangereux quand ce contact direct revient à supprimer des processus d’échanges et de débats, avec les risques que l’on imagine de démagogie, de « court-termisme », et de rejet des « sachants ». Ceux-ci sont parfois inféodés à des intérêts particuliers, mais leur savoir mérite toujours d’être porté à la Connaissance du public. Pour revenir aux abeilles et aux « néonicotinoïdes », on entend déjà la réaction d’experts, Le Collectif Sauvons les fruits et légumes de France, qui s’alarme en craignant que l’on utilise, en substitution des produits interdits, d’autres substances bien plus toxiques. La pétition sur Internet pourrait ainsi devenir le nouveau champ clos d’affrontements de lobbys ou de groupes de pression.
Le développement durable est un processus d’apprentissage. Un monde est à construire, sur des bases rénovées, avec une forte dose de gouvernance. Les nouvelles technologies sont au cœur du débat, qu’il s’agisse de chimie, de matériaux ou de communication. La hard et les soft, toujours indissociables. Des régulations adaptées au contexte qui évolue rapidement sont nécessaires, mais faisons en sorte qu’elles se substituent à celles qui existent déjà, au lieu de s’y ajouter et de constituer ainsi une « couche » supplémentaire de règles indémêlables.
Chronique mise en ligne le 17 mai 2013
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