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Organisations sociales

Bulle

On dit souvent que les réformes sont impossibles daans notre pays. C'est que souvent leur objet n'est que la partie visible d'un iceberg, qu'il faut voir dans son ensemble. Autour d'un objet d'intervention, il y a une bulle qu'il faut prendre dans son ensemble.

C’est comme une ombre, ça ne vous lâche pas. Notre Univers est composé de plusieurs cercles qui forment comme des bulles autour de nous.

C’était le thème central du livre d’Edward T. Hall, la dimension cachée (1). Nous vivons dans des bulles dont la taille et la forme dépendent de nombreux facteurs, essentiellement culturels. Les animaux le savent bien, ils ont dans leur Patrimoine la notion de « distance de fuite », qui délimite leur espace de sécurité, où ils se sentent à l’abri du danger. Les êtres humains ont aussi de tels espaces, moins de sécurité que de confort ou d’intimité. Nous disposons d’un code mental de l’espace comme dit l’ethnologue Jean Malaurie à propos de Populations dites « premières » mais qui ont beaucoup à nous apprendre.
Cette bulle qui complète notre corps, qui fixe les Limites de son Périmètre de vie normale, existe dans bien d’autres domaines. Le concept de distance de sécurité existe en matière de sécurité routière. La vraie longueur d’une voiture n’est pas celle que vous lisez dans la notice de présentation. Celle-là ne vaut que quand vous êtes à l’arrêt, c'est-à-dire quand vous ne vous servez pas de votre voiture. Quand elle fonctionne, sa longueur est toute autre, il faut y ajouter celle nécessaire pour s’arrêter en cas de problème. Sa vraie longueur dépend donc de sa Vitesse, ce n’est pas une donnée fixe.
Etendons ce concept de bulle autour d’un être humain, ou d’une voiture qui roule, à d’autres domaines. Pour la voiture, tout d’abord, la bulle n’est pas que Physique. L’extension de la voiture est aussi psychologique et sociale. Il s’agit d’un Statut, d’une position sociale, d’une fierté de posséder un tel objet. La bulle élargit la fonction d’un objet à bien d’autres aspects qu’il serait hasardeux de négliger. Pour réduire la voiture à un simple objet fonctionnel, il faut apporter d’autres manières de répondre aux besoins satisfaits par sa possession et son éventuelle ostentation.
Le logement, qui fait à présent l’objet d’un droit, se limite-t-il à un simple Toit, un abri pour manger et dormir confortablement,  et élever une famille ? Nous savons bien qu’il n’en est rien, et que le logement n’est pas qu’un bien fonctionnel. C’est une marque de personnalité, un objet de différenciation sociale, qui commence dès l’adresse. C’est aussi le sentiment d’appartenir à un lieu, avec les Valeurs attachées à ce lieu et à ceux qui y vivent. Il y a donc une bulle logement, qui porte bien d’autres richesses que la simple capacité à se loger. La valeur d’un bien est complexe, et se réfère à la « bulle » autant qu’à sa matérialité.
C’est comme une entreprise, dont le capital est largement immatériel. Le décalage entre valorisation boursière et somme des actifs démontre l’existence d’une bulle. Au-delà du matériel et des équipements, la force d’une entreprise est constituée de la Qualité de son personnel, de son management, de la fidélité de ses Clients, de la foi en l’Avenir qu’elle manifeste, notamment à travers ses brevets, et de bien d’autres choses encore.
Cette Richesse immatérielle est bien prise en compte pour les entreprises, mais l’est-elle pour les nations ? PIB et niveau d’endettement semblent bien être les seuls paramètres utilisés pour classer les pays, pour traduire leur bonne Santé. Et pourtant le « moral des troupes » est un facteur très important, comme en témoignent les enquêtes auprès des chefs d’entreprise ou des ménages.  En géopolitique, Dominique Moïsi évoque les émotions qui gouvernent le monde, l’Espoir, l’humiliation et la Peur. Les agressions dont nous sentons l’objet ne sont pas, le plus souvent, celles qui nous affectent dans notre chair, mais dans notre bulle, notre univers personnel ou collectif, au sein duquel nous avons élaboré un « code mental » que nous ne voulons pas voir remis en cause.
Il est pourtant un domaine où la valeur de la bulle est négligée, l’Emploi. Il ne s’agit pas que d’une valeur productive, d’un « facteur de production » à rémunérer comme tel. L’emploi a bien d’autres fonctions, reconnues mais non financées, relatives à la vie sociale, à la cohérence de la société, à la dignité des individus, au sentiment  d’apporter quelques chose à la société et d’être Utile. Le problème est que ces valeurs ne sont pas portées par les mêmes personnes, et qu’elles ne peuvent être agrégées par personne. La seule valeur productive entraîne le reste. Nous critiquons souvent le PIB au titre du développement durable. Cet indicateur économique ne représente qu’une partie de la réalité, et occulte le reste. Il représente toutefois un niveau général d’activité, et par suite, malgré des variations sur la Productivité du Travail, d’emploi. Le PIB tire l’emploi. Il satisfait ce besoin, même  si on peut avoir des Doutes sur la manière dont il répond à de nombreux autres besoins. C’est ce qui fait sa force. L’emploi constitue la bulle du PIB, ce qui l’accompagne dans nos esprits. Comment remettre en cause le PIB sans paraître s’attaquer à l’emploi ?
Les approches cartésiennes ont souvent du mal à identifier les bulles, les ensembles de valeurs qui accompagnent un objet ou une pratique donnée.  Pas de réaction simple, mais un système aux nombreux paramètres qui interagissent les uns sur Les autres. Les Levier qui permettraient de modifier l’ordre des choses sont complexes, et doivent être manipulés ensemble. Ce sont les bulles qu’il convient de faire évoluer, et non uniquement leur partie centrale comme une Analyse trop rapide y conduirait.

1 - Editions du Seuil, 1971

 


 Chronique mise en ligne le 15 octobre 2012

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