Atout
Réformons, il en restera toujours quelque chose ! L’urgence de la réforme, la réforme pour elle-même, ou pour se rassurer, telle est « l’ardente obligation » du moment. Mais attention à ne pas brader des atouts dans ce grand chambardement.
La recherche d’économies est parfois mauvaise conseillère. Telle économie immédiate pourra se payer cher plus tard et le dicton « ça coûte cher d’être pauvre » est là pour l’illustrer.
Dans le secteur du bâtiment, par exemple, nous savons que le retard de certains travaux d’entretien provoquera des dépenses bien supérieures aux maigres économies réalisées. Mais attention surtout à ne pas abandonner des savoir-faire, des patrimoines technologiques ou culturels qui se perdent très vite s’ils ne sont pas utilisés et tenu en éveil. Ce serait une perte en capital, qui n’apparaitrait pas dans les comptes publics mais qui pourrait bien être regrettée par la suite.
Le service militaire coutait cher. Il est abandonné à la fin des années 1990 : les derniers « appelés » ont rendu leur paquetage le 30 novembre 2001. Il est vrai que la Défense nationale n’en avait plus besoin, et que d’autres politiques, autour de l’armée de métier, plus technique, plus entraînée, plus « professionnelle », prenaient la relève. A l’époque, l’idée de le transformer en service civil avait été évoquée, notamment au profit de l’environnement, mais très vite, elle avait été enterrée pour cause d’économies.
On avait tout simplement négligé les autres « services » que le « service » rendait. Des sous-produits, forcément imparfaits du fait même qu’ils n’étaient pas la raison d’être de l’institution, mais qui n’en étaient pas moins réels. Certains aspects ont toutefois été conservés, tels que le recensement d’une classe d’âge, qui permet de dresser un « bilan de santé » physique, culturel et mental des générations qui se succèdent. Une « Journée défense et citoyenneté » remplace à cet effet les longs mois de service militaire. Les jeunes filles doivent y participer. Les autres fonctions annexes du service militaire sont bien connues, d’ordre médical, social et sociétal, formation professionnelle, etc. Le brassage social en faisait partie, même si de nombreuses critiques ont pu être émises. Encore une fois, les fonctions « sous-produit » n’étaient pas remplies au mieux, mais elles l’étaient un peu malgré tout, et c’est mieux que rien.
Il y avait besoin d’une réforme profonde de cette institution, pour l’ouvrir au monde civil et à ses besoins, tout aussi légitimes que la Défense. Mais il y avait un savoir-faire, une compétence accumulée, qui était un véritable trésor. Comment organiser le rassemblement de 400 000 jeunes par an, les loger, les nourrir, les habiller, les soigner, leur donner une activité, les encadrer, les punir le cas échéant, ça ne s’improvise pas. Aujourd’hui, au nom du « vivre ensemble », à l’analyse des situations de ghetto, d’absence totale de contact entre jeunes d’origine ou de communautés différentes, le concept de service civil refait surface. Il n’avait pas été complétement abandonné, et quelques associations avaient maintenu un « service civique ». Cette permanence d’origine citoyenne a permis au gouvernement d’annoncer quelques milliers de « missions de service civique dans l’environnement » (essentiellement transition énergétique, climat, biodiversité et paysage) au cours des prochains mois (1). Quelques milliers, c’est un début, mais chacun sent bien que la réponse au défaut de « brassage social » n’est pas à l’échelle. La démultiplication demande un savoir-faire et des moyens qui ont été perdus. Saura-t-on les reconstituer, à quel prix, dans quel délai ? La mutation de l’ancien service militaire était délicate mais serait partie d’un socle bien réel, alors qu’il faut aujourd’hui tout reconstruire. Nous avons laissé filer un atout, au lieu de le jouer au bon moment.
Un raisonnement analogue pourrait être tenu sur les services territoriaux de l’Etat, qu’il fallait bien sûr revoir à la lumière de la décentralisation, d’Internet et des nouvelles demandes des citoyens, après avoir redéfini les missions de l’Etat et les responsabilités des collectivités. Mais le risque est grand, aujourd’hui, de voir abandonner un autre capital social spécifique à la France, et qui constitue un de ses atouts : les communes rurales. Pensez donc ! 36 000 communes, c’est de la folie. Ça coute cher, etc. Vous connaissez le discours. Eh bien, ce serait leur suppression qui serait une folie. La demande massive de nos concitoyens porte sur la proximité. Le pouvoir est bien loin, anonyme, sourd et aveugle. Chacun veut, et c’est légitime, disposer d’un accès aux institutions, d’un accès humain, en chair et en os, même si le virtuel permet de préparer les choses. C’est aux maires qu’il revient d’assurer cette fonction de proximité, d’écoute, de relai vers les pouvoirs publics aux échelles territoriales ou nationales. A défaut, combien faudrait-il de fonctionnaires pour le faire, et à quel prix ?
L’erreur est de demander aux maires de faire ce qu’ils ne peuvent pas faire. La fonction de lien social, d’animation d’une communauté, pour lui apporter sa cohésion, lui permettre d’exprimer un « désir d’avenir », est aujourd’hui primordiale, et doit être assumée par des « politiques », des élus, même à une toute petite échelle. Nos 36000 communes sont un atout formidable, à condition de dégager les maires de préoccupations techniques, à transférer à des communautés et autres groupements.
La mode du XXL est meurtrière. A l’époque d’Internet, et de la fluidité que donne cet instrument pour relier une infinité de petites unités, nous ne pensons que grosses machines. Ce sont pourtant les PME et les TPE qui créent des emplois, pas les multinationales, et tout le monde le sait. Notre atout est dans la diversité, les « 400 fromages », les populations de toutes origines qui ont constitué notre société et qui continuent de le faire. Des atouts à préserver et à valoriser, même si ce n’est pas dans l’air du temps.
1 - Au cours d’une conférence de presse Ségolène ROYAL, ministre de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie et Patrick KANNER, ministre de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, le 24 février 2015
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