Trajectoire
La notion de modèle de développement, souvent traduite par le mot "trajectoire", tend à nous enfermer dans un cadre étroit. Les anciennes (?) pratiques du FMI illustrent cette vision unique du futur. Il n'y a pas qu'un modèle, il y a des avenirs à construire, et autant de trajectoires.
Le mot est souvent utilisé pour évoquer la marche des pays vers le développement. Il y aurait les pays développés, et ceux en voie de développement, qui suivent bon an mal an la trajectoire des premiers.
Ce ne serait qu’un décalage dans le temps, avec une sorte de vision unique du développement. Une vision implicite et inquiétante, car elle ne se mesure le plus souvent qu’en PIB. La manière de mesurer le « Progrès» n’est pas neutre, et elle donne un contenu audit progrès, même si les discours disent que l’indicateur est très partiel, qu’il faut le combiner avec d’autres.
Changeons donc d’indicateur, et prenons celui de la New Economic Foundation, NEF, un « think-and-do tank » créé par des britanniques en 1986. C’est le Happy Planet Index, HPI, qui combine des données sur le PIB, et d’autres critères tels que l’espérance de vie, la satisfaction générale, et l’empreinte écologique. Un indice composite, forcément critiquable, puisqu’il faut mélanger des chèvres et des choux, et que la manière de la faire n’est pas indifférente. Mais il donne une autre vision du monde. Les résultats publiés en juillet 2009 sont surprenants. Le pays phare, le premier de la classe, est le Costa Rica. De bonnes notes partout. Si on prend les pays du G20, c’est le Brésil qui est en tête (9e au classement général) ; pour l’Union Européenne, c’est Malte (44e) suivi de l’Allemagne (51e). La France est 71e, plombée par son empreinte écologique, ainsi que nos amis du Royaume Uni, 74e. Pas de quoi être fier, il y a des progrès à faire, si on veut se placer sur la trajectoire du meilleur. Les Etats Unis sont 114e, et ce sont les états Africains qui ferment la marche, la Tanzanie et le Zimbabwe (142e et143e). Les prélèvements de ressources coûtent cher aux USA, c’est tout le contraire pour les pays d’Afrique, qui souffrent pour leur espérance de vie, leur qualité de vie, et leur niveau de vie. Le classement peut donc refléter des réalités très contrastées, mais il tente une synthèse délicate de plusieurs dimensions.
Le rapport de 2009 est inquiétant non pas du fait de notre classement, mais parce qu’il montre que certains pays régressent. Le pire a été pendant la période 1960-1980, pour les pays de l’OCDE. Leur empreinte écologique s’est envolée de +72%, ce qui fait nettement baisser leur moyenne, Les autres paramètres ne grimpant que de 15%. La situation s’est améliorée depuis le début des années 2000, sauf pour les USA qui continuent leur chute, accompagnés de la Chine et de l’Inde. Des trajectoires tragiques !
Chaque pays suit donc sa trajectoire, comme les planètes, mais il serait bien illusoire de penser qu’il y a une trajectoire royale, une référence unique, que chacun devrait s’efforcer de suivre. La signification de l’indice unique HPI est hasardeuse, mais pas plus que le PIB, qui agrège à sa manière, implicitement, de nombreuses données sans que l’on ne s’en rende compte. Le HPI est intéressant quand on entre dans le détail des profils de chaque pays. Il en met en évidence les atouts et les faiblesses, et permettrait de définir des stratégies de développement adaptées à chaque circonstance.
D’autres indicateurs spécialisés sont disponibles, l’empreinte écologique toute seule, ou l’indice de développement humain. Ils sont de compréhension plus directe, mais n’ouvrent pas le débat sur les relations complexes entre les différentes dimensions de la vie, ils ne prennent pas en charge la complexité de la vie. Et bien sûr, il faut les deux types d’indicateurs, des indicateurs synthétiques qui frappent les esprits, et d’autres plus fins pour mieux explorer les réalités.
Ces trajectoires de pays nous rappellent les trajectoires individuelles. Le modèle de la Rolex que vous devez avoir très jeune si vous ne voulez pas « rater votre vie ». Le modèle des grandes écoles, des puissantes berlines et autres villas sur la côte d’azur. Tous ces modèles nous enferment dans une vision étroite du bonheur, et font peser sur la planète une pression renforcée sur certains points qui ne peuvent que devenir faibles, à force.
La multiplicité des trajectoires est effectivement une bonne chose pour les individus et pour la planète. Il faut pour cela créer les lieux de dialogue sans modèles dominants. Une exigence pour la bonne gouvernance mondiale.
Chronique publiée le 27 décembre 2009, revue le 29 janvier 2012.
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