Absolu
Dans un monde qui bouge vite, l'absolu offre un refuge et donne des repères. Mais attention à l'illusion qu'il pourrait donner. Le caractère absolu n'est jamais définitif, il faut de défendre et savoir l'adapter.
Il y a des valeurs fortes, qui s’imposent aisément à l’esprit comme la santé, le patrimoine, la nature. Elles ont souvent suscité des lois pour les protéger envers et contre tout.
Ces valeurs sont en effet souvent mises en péril par des intérêts immédiats, des vues un peu myopes, ou encore des œillères qui limitent singulièrement le champ embrassé par le regard. Il ne faut pas pour autant que ces valeurs, sures de leur bon droit, se croient les seules, et qu’elles ne veuillent s’imposer à toutes Les autres. Le pouvoir absolu n’est jamais une bonne chose.
L’absolu conduit à des automatismes et à une perte de jugement, à faire redouter son domaine plutôt qu’à le faire aimer et partager. Cette tendance est particulièrement grave quand il s’agit de valeurs fragiles, qui se constituent parfois ce que l’on appelle des citadelles, et se considèrent comme assiégées. La tentation est forte, alors, de s’enfermer derrière ces remparts, de ne plus voir que ses propres intérêts, de faire flèche de tout bois pour les faire valoir. Adieu la bonne intégration dans la vie des richesses que l’on protège avec un amour exclusif, adieu le partage de ces valeurs, imposée et donc subies au lieu d’être reconnues et reprises comme base de tout projet d'avenir.
La protection de la nature donne une bonne illustration de ce paradoxe. Il y a des lois et des directives européennes qui fixent des obligations et des interdictions dans ce domaine, et c’est heureux. Mais ces impératifs viennent de haut, ils sont vécus comme des contraintes et non comme une règle du jeu constructive, dont le respect produit de la richesse pour tout le monde. Comme les contraintes sont faites pour être contournées, c’est même un sport national, la protection de la nature est menacée dans de nombreux cas, et le recours à la loi, et même au tribunal, devient la manière naturelle de défense. Trouvez un pique-prune ou un herbier de posidonie, et vous démolissez trous les projets que vous voulez, la sauvegarde d’espèces protégées est devenue une arme absolue. Le problème est qu’elle est entre toutes les mains, celles de bonne foi comme celles qui instrumentalisent la protection de la nature. Le caractère absolu empêche la mise en perspective et l’exercice de l’intelligence. La protection de l’environnement est partie intégrante du développement, et ne peut être considéré isolément, affirme le 4e principe adopté à la conférence de Rio. Les protecteurs de la nature doivent donc sortir de leur citadelle, pour faire partager leurs convictions et ainsi les renforcer. Encore faut-il que cette bonne volonté soit elle aussi partagée, et que chacun joue le jeu. Ce n’est pas gagné, il y a encore du chemin à parcourir, mais quelle erreur ce serait de tout miser sur le droit pour faire avancer sa cause !
La protection du patrimoine culturel, comme les monuments historiques ou les sites remarquables, est une tradition plus ancienne en France. Portée par Victor Hugo et Prosper Mérimée notamment, elle est reconnue aussi comme valeur économique. Le tourisme est une activité importante dans le monde et dans notre pays, et la concurrence est de plus en plus rude : préservons nos atouts ! Cette politique de protection a montré son intérêt, et grâces soient rendues à tous les architectes des bâtiments de France et inspecteurs des sites qui l’ont fait vivre, souvent avec un réel courage. Mais faut-il figer les paysages ruraux et urbains, comment associer la protection du patrimoine et l’irruption de nouvelles valeurs, de nouveaux modes de vie, de nouvelles obligations ? Là encore, il faut sortir de l’absolu, se mettre en perspective, distinguer l’essentiel de l’accessoire, chercher à conjuguer des préoccupations plutôt que de les opposer et de profiter du statut des plus anciennes pour interdire les autres. Le club des protections et des valeurs à protéger est-il fermé, ou peut-il s’ouvrir et vivre dans le siècle ? Il ne s’agit pas d’abandonner une politique qui a donné des résultats remarquables, mais de l’enrichir de nouvelles exigences, ce qui oblige tous les acteurs, ceux qui proposent des projets comme ceux qui les jugent, à élargir leur gamme de préoccupations et à dépasser leurs appréhensions, pour explorer de nouvelles approches.
La santé offre une troisième illustration de la tentation de l’absolu. Valeur forte, qui s’impose à tous, qui domine toutes les autres préoccupations. Souvent malmenée dans les faits, avec un habitat malsain ou insalubre par exemple, ou une pression excessive sur les lieux de travail, sans parler des pesticides respirés abondamment par les agriculteurs qui les épandent, elle manifeste son autorité dans les espaces où elle peut s’exprimer, notamment la réglementation. Edictées dans le cadre du droit, ces obligations restent souvent lettres mortes dans les pratiques, où les cultures et les réflexes immédiats imposent leurs logiques. La qualité de l’air intérieur, dans les habitations ou les salles de classe par exemple, illustre le décalage entre des règles et la vie réelle. La récupération d’eau pluviale et le recyclage des eaux grises permettent aux tenants de la santé publique d’exprimer le caractère absolu de leur domaine. Le risque d’une mauvaise utilisation de ces eaux, si l’on oubliait qu’elles n’étaient pas potables, a entraîné en France une interdiction pure et simple de cette recherche d’économies sur la ressource en eau, pourtant très largement utilisée en Europe et dans le monde. Mais les mentalités ont évolué, et des ouvertures se sont faite récemment, encore timides, prudentes diront certains : le dialogue est engagé, l’absolu est relativisé, c’est une avancée qu’il convient de souligner.
L’absolu fait référence au sacré, il ne discute pas. C’est l’opposé des lois humaines, fruit du dialogue et de la recherche d’une compréhension mutuelle. Il y a sans doute des situations où l’absolu sera la seule manière de protéger des valeurs trop exposées, au nom d’une légitimité reconnue a priori, mais admettons que ce n’est qu’une position de repli, et non une pratique courante, non comme le point de départ d’un dialogue sous influence entre des protagonistes réputés par principe antagonistes.
Chronique mise en ligne le 4 décembre 2008
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