Ticket
Prenez un ticket d’entrée pour le développement durable, vous serez gagnant. Le ticket évoque beaucoup de choses, du cinéma à la restriction. Un large éventail, qui témoigne de l’intérêt du ticket. C’est la marque d’un droit d’entrée, d’usage, de consommation, même s’il est assorti d’un numéro d’ordre.
Le débat est ouvert aujourd’hui sur le ticket restaurant. Un droit à consommer dans un univers bien ciblé, et qu’il est question d’élargir. Au départ, il s’agit d’une aide sociale, une manière de donner un pouvoir d’achat aux salariés sans payer de charges sociales. C’est un chèque qui est donné pour le restau, qui fera plus tard un petit, le chèque vacances. Toujours des avantages accordés si on utilise l’argent d’une certaine manière. Des avantages payés par l’URSSAF et l’Etat, car il faut bien compléter le montant du chèque au-delà de ce que verse l’employeur.
La formule semble bonne, car il est question d’en faire un instrument de diététique. Nous ne mangeons pas assez de légumes, ils vont donc être détaxés par le biais des tickets restaurants, sur les mêmes bases que le déjeuner pris à la pause de midi. Quand on nous servait du lait dans les écoles, les choses étaient plus claires. Pas de système financier complexe, un achat direct par l’Etat aux éleveurs, c’était quand même plus simple et plus lisible.
On pourrait aller encore plus loin sur cette piste : avec notre feuille de paie, devrait figurer la bonne répartition de nos dépenses. Ou mieux, au lieu d’une somme globale, nous percevrions tant pour le logement en monnaie logement, tant pour la bouffe, tant pour s’habiller, etc. Merci d’en laisser un peu pour le bistrot. L’avantage serait clair : fini les bêtises, fini l’irresponsabilité et la paye bue avant même d’arriver à la maison ; tous vertueux, encadrés dans nos modes de consommation. Et puis on pourrait programmer la production, avec une correspondance exacte entre les tickets de pain et la production de pain. Comme au bon vieux temps des restrictions, de la pénurie.
L’Etat prend soin de nous et il influence nos modes de vie. Aujourd’hui, il veut jouer sur les tickets restaurant, mais il utilise de nombreux artifices : il fixe des taux de TVA différenciés, donne des crédits d’impôts, etc. Il flèche nos consommations. Nous applaudissons quand il donne des avantages fiscaux à ceux qui isolent leur maison, pour accélérer le retour d’investissement. Ne serait-il pas mieux de payer l’énergie au prix normal, c'est-à-dire fort si on intègre les coûts indirects, comme l’effet de serre et la dégradation des paysages avec les lignes à haute tension ? Le temps de retour des investissements d’isolation en serait accéléré de manière plus naturelle et durable.
Revenons à notre régime alimentaire. Faut-il nous prendre la main pour guider nos achats, ou bien agir fermement auprès des cantines scolaires et de toutes formes de restauration collective pour populariser une culture de l’alimentation digne du 21e siècle et de la société d’abondance, abondance ne rimant pas avec obésité.
Derrière ces tickets se cache la question de nos responsabilités. C’est parce que nous ne faisons pas un bon usage de notre argent qu’il doit être fléché, pré affecté. Le remède est-il durable ? N’est-il pas de nature à faire durer le mal au lieu de le guérir ? Si notre régime alimentaire est déséquilibré, ce n’est pas avec ces artifices que l’on corrigera le tir, sauf peut-être à les intégrer dans un programme d’action beaucoup plus étendu. Il s’agit d’intervenir sur un modèle culturel aussi enraciné que le mode d’alimentation, la place des repas dans la société, les rythmes de vie, la signification symbolique de ce que nous mangeons, et ça ne s’improvise pas.
Une politique durable d’alimentation ne peut se satisfaire de ces carottes mises en avant pour appâter les ânes que nous sommes et les faire marcher vaillamment sur la route de la diététique. Il y a bien d’autres manières de faire. On pourra, par exemple, s’attaquer à l’ignorance que les citadins modernes ont des modes de production de leurs aliments. Vous connaissez tous les plaisanteries sur les enfants qui n’imaginent pas le poisson autrement qu’en parallélépipèdes, les poulets en barquettes, et qui tombent des nues quand on leur apprend que la purée est faite avec des pommes de terre. Le potager devrait être une matière scolaire, dès la maternelle et avec note éliminatoire au baccalauréat.
Intéresser les consommateurs à la manière dont sont produits leurs repas de tous les jours est sans doute plus engageant qu’un avantage financier par ticket interposé, mais ce serait plus durable.
Ne rejetons pas pour autant ce fameux ticket. Il peut avoir un rôle pédagogique s’il s’insère dans un ensemble. Dans un autre domaine, les tickets s’appellent des quotas. Quotas de production et quotas d’émissions de pollutions diverses. Manipulés comme des tickets de rationnement, ils mobilisent les acteurs obligés de trouver des réponses originales aux défis qui leur est ainsi proposé, et qui devient de plus en plus dur, au fur et à mesure que l’on réduit la quantité de tickets disponibles.
Comme la langue d’Esope, la plus mauvaise comme la meilleure des choses, le ticket sera plus ou moins durable selon la manière de l’utiliser. Non au ticket qui infantilise, oui au ticket qui oblige à prendre ses responsabilités.
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