Indicateur
France Stratégie vient de publier une note sur la mesure de la qualité de la croissance. Une occasion de revenir sur la question des indicateurs. Comment évaluer nos progrès sur la voie du développement durable ?
Le procès du PIB n’est plus à faire. Ses limites et son étroitesse de vue ont maintes fois décrites, notamment dans ce blog. Il reste néanmoins l’indicateur roi, celui auquel nos nous référons en priorité. Il a le mérite de la simplicité, d’une bonne durée de vie, et d’une dimension internationale. Il n’empêche que le besoin d’aller « au-delà » est largement ressenti. La complexité de la vie et la diversité des évènements qui la jalonnent ne peut se trouver réduit à un chiffre, et l’amélioration de notre sort traduit par un pourcentage. Il faut trouver d’autres indicateurs, plus riches, plus diversifiés. L’effort a été fait de multiples manières. Il y a des indicateurs spécialisés, tels l’indice de développement humain, ou l’empreinte écologique. Des indicateurs synthétiques ont été proposés, comme l’HPI, happy planet index créé par la New Economics Foundation.
En France, le débat a été ouvert depuis longtemps, notamment par Bertrand de Jouvenel dans son ouvrage « Arcadie, essai sur le mieux vivre(1) », et il vient de connaître un nouvel avatar : France Stratégie, petite-fille du Commissariat général au Plan, vient de publier une note d’analyse intitulée « Quels indicateurs pour mesurer la qualité de la croissance ? ». Entre temps, une commission présidée par le prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz avait fait quelques propositions à la fin des années 2000 ; le Conseil économique, social et environnemental avait publié un rapport en mai 2009, un grand colloque débouchant sur des propositions d’indicateurs avait été organisé en janvier 2010, et bien d’autres manifestations et/ou études et rapports ont surement enrichi l’histoire des indicateurs de développement durable.
La récente note de France Stratégie identifie, « pour compléter la mesure du PIB », sept indicateurs formant un « tableau de bord de la qualité de la croissance française ». Ils devront faire l’objet d’un débat public. Ils représentent en effet autant de choix de sociétés.
Les indicateurs ne sont pas neutres. Ils orientent l’action des acteurs, comme le PIB le fait, sans avoir été soumis à un débat démocratique.
Ces 7 indicateurs portent sur : l’évolution des stocks d’actifs productifs, physiques et incorporels, rapportés au PIB ; la proportion de titulaires d’un diplôme supérieur au brevet des collèges parmi les 25 à 64 ans ; la proportion artificialisée du territoire ; l’empreinte carbone française annuelle, importations incluses ; le rapport entre les revenus détenus par le cinquième le plus riche de la population et ceux détenus par le cinquième le plus pauvre ; la dette publique nette rapportée au PIB ; enfin, la dette extérieure nette rapportée au PIB. On est loin des propositions de 2010, articulée autour de 9 « défis », avec chacun des indicateurs de rang 1 et de rang 2. L’esprit de simplification est passé par là, et c’est tant mieux car trop d’indicateurs tuent les indicateurs, pour paraphraser une célèbre maxime. Les 9 défis ouvraient plus large la réflexion : changement climatique et énergie propre ; transports et mobilité durable ; consommation et production durables ; conservation et gestion durable de la biodiversité et des ressources naturelles ; santé publique, prévention et gestion des risques ; insertion sociale, démographie et immigration ; défis internationaux en matière de développement durable et pauvreté dans le monde ; société de la connaissance ; gouvernance. Au total 70 indicateurs de niveaux 1 et 2. Difficile à suivre pour le grand public, vous l’avouerez.
Ce qui frappe dans ces deux tentatives est l’absence du bien être. La qualité de vie est absente, à moins que l’on suppose que le niveau d’études et la bonne santé en tiennent lieu. La qualité des relations sociales ne doit pas avoir de valeur. C’est comme dans le bilan des entreprises, l’immatériel n’apparait pas, alors qu’il est essentiel : la motivation des personnels, la fidélité des clients, etc.
Ces indicateurs semblent des « agglomérats » de données que l’on a déjà collectées, sans que l’on sente un véritable effort pour réduire l’écart entre les chiffres publiés sur la croissance et le ressenti par le public. Rien sur le « moral des troupes ». La croissance, pour qui et pour quoi, la question reste entière. Les indicateurs restent une affaire de spécialistes. Nous sommes bien loin de la recommandation du CESE : « associer étroitement les citoyens et la société civile au choix des indicateurs et à l’évaluation de leurs évolutions ».
Philippe Le Clézio, dans son rapport au CESE, avance une explication sur la difficulté d’ouvrir les indicateurs à l’humain : « les membres de la « comptabilité nationale institutionnelle » considèrent implicitement qu’ils ne sont en charge que des comptes nationaux « centraux » : dans leur esprit, les questions environnementales et/ou de bien-être leur sont extérieures (la « nature » ne fait ainsi pas partie des secteurs institutionnels) et sont réservées pour des comptes satellites éloignés de leurs préoccupations quotidiennes. Presque spontanément, ils considèrent ces questions comme « hors sujet » et mettent en avant les sujets techniques auxquels ils sont confrontés au jour le jour (comptes financiers et non financiers des secteurs institutionnels, notamment des administrations publiques) ».
Les spécialistes ont bien du mal à sortir de leur monde. Le développement durable est complexe par nature, comme la vie. La réduire à quelques indicateurs est toujours une gageure, même si l’on ressent le besoin d’évaluer la pertinence et l’efficacité de nos choix sur la voie du développement durable.
1 - SEDEIS, Futuribles, 1968
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