Extra
La notation extra-financière se développe pour les entreprises. Une bonne règle d'or pour les Etats conduirait à l'étendre, de la même manière, à des données extra-financières.
L’argent ne fait pas le bonheur, mais nous savons bien qu’il ne faut pas accumuler les dettes pour éviter des ennuis.
Notamment de devoir réduire son train de vie et perdre son indépendance, et de devoir passer sous les fourches caudines de ses créanciers. Ce qui vaut pour l’argent vaut pour bien d’autres ressources, mais le monde de la finance a secrété des instruments de contrôle et d’intervention qui s’imposent rapidement. Les mesures d’assainissement sont exigées à court terme.
Il en est différemment des autres dettes, celles que nos économies provoquent dans la société et dans la nature. La complexité de ces mondes extra financiers est bien supérieure à celle de la finance, qui n’est déjà pas rien. La finance a vu pendant des années des déséquilibres se constituer, et ne réagit qu’aujourd’hui, à la suite de quelques évènements déclencheurs comme telle ou telle crise sectorielle ou locale. Que penser, alors, d’autres déséquilibres qui se creusent sous nos yeux, et que nous ne parvenons pas à maîtriser. La satisfaction de nos besoins, d’aujourd'hui et de demain pour reprendre la définition du développement durable, s’exprime bien au-delà du monde financier. Lors de la crise de 2008, on a souvent parlé de la « vraie économie », en opposition à celles des banques. La finance est une commodité pour favoriser les échanges, un instrument au service de l’économie, et sa mauvaise Santé pose toujours un problème. Mais sa bonne santé ne suffit pas, l’enjeu du développement est beaucoup plus vaste.
C’est le potentiel productif de la planète, et de chaque communauté humaine qui doit être préservé. Il doit même s’accroître puisque la population mondiale s’accroît encore, et sensiblement, et que même à population constante, il reste de nombreux besoins « essentiels » non satisfaits. La règle d’or, qui impose que l’on ne consomme pas plus que ce que l’on produit, doit s’appliquer au-delà de la sphère financière. Aujourd’hui, la planète vit sur son capital, nous consommons plus que le flux annuel de production primaire. Il en résulte un appauvrissement général, masqué par la valorisation financière des biens et des services : le PIB de la planète augmente, et nous en déduisons hâtivement que sa production nette augmente également. Les critiques sur le concept de PIB sont nombreuses. Des travaux sont en cours, en France, en Europe et à l’ONU notamment pour voir comment suppléer les carences de cet indice qui rapporte toute l’activité humaine à des flux financiers dont on ne connaît plus la signification.
Le développement durable nous conduit à intégrer plusieurs dimensions de la vie, au lieu de les traiter séparément. L’économie y tient toute sa place, mais associée à d’autres préoccupations, comme les ressources et le bien-être. Adopter une règle rigide sur un seul point, la finance, sans se doter des dispositifs équivalents sur les autres dimensions de la vie, serait bien dangereux. Nous savons qu’il y a de nombreux liens entre l’économie et le réchauffement climatique, l’état de santé des océans, et la répartition des Richesses entre les nations. A l’inverse de ce qui se passe avec les dettes financières, personne ne vient vous présenter la facture de dettes extra-financières, mais elles ne s’en accumulent pas moins. Un surendettement d’autant plus grave qu’il est caché, et porté par la société toute entière, de manière diffuse, au lieu de l’être par des groupements puissants et respectés.
La tentation est donc grande de satisfaire l’exigence immédiate et bien visible, au détriment des autres exigences, plus difficiles à mettre en évidence et aux effets décalés dans le temps. La règle d’or exclusivement financière peut affecter durement la capacité de production de nos héritiers.
Nos émissions de gaz à effet de serre restent à un niveau beaucoup trop élevé, ainsi que nos rejets de substances toxiques dans l’air, les rivières et la mer, les sols et les eaux souterraines.
La richesse biologique de la planète est durement affectée par une artificialisation brutale, des extensions urbaines incontrôlées, des décharges sauvages loin des regards. Des dettes en nature, qui devront être payées d’une manière ou d’une autre. Des dettes réparties entre les nations de manière très inégalitaire, sans que des agences ne viennent sanctionner les Etats par des notes lourdes de conséquences.
Il existe des agences de notation extra-financière. En France, la Loi sur les Nouvelles régulations économiques, NRE, relayée par la loi Grenelle 2, instaure des obligations de présentation de résultats sur une série de données écologiques et sociales. Les agences observent les entreprises, et leur appréciation commence à peser sur les décisions des investisseurs.
Les Etats sont par ailleurs évalués régulièrement sur leurs politiques environnementales (notamment au sein de l’OCDE), sur le niveau de santé ou d’éducation de leurs populations. Citons par exemple l’empreinte écologique promue par le WWF, l’indice de développement humain (IDH) proposé par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), ou l’indice Happy Planet Index (HPI) de la New Economics Foundation (NEF) de Londres. Des institutions onusiennes, européennes et internationales, des ONG et des universités publient des indices sur la bonne santé environnementale et sociale des nations, mais il n’y a pas pour l’instant de sanction véritable.
L’endettement extra-financier, environnemental et social constitue un enjeu considérable, au moins aussi important que l’endettement financier. La prééminence de ce dernier lui confère une puissance dangereuse si elle n’est pas équilibrée par d’autres exigences.
L’objectif d’un budget en équilibre est évidemment une condition pour le développement durable, mais pas uniquement un budget financier. Le développement durable nous conduit à voir plus loin. Mettons en chantier une « règle d’or » durable, intégrant toutes les richesses de la nation, qu’elles soient financières, humaines, environnementales et sociétales.
Chronique mise en ligne le 20 septembre 2011
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