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Mesurer et compter

Externe

La règle d’or est séduisante, mais pourrait bien se révéler une « fausse bonne idée »  si son champ d’application est exclusivement financier. La tentation « d’externaliser » des dépenses publiques pourrait devenir trop forte.

La question des « coûts externes » n’est pas réservée aux entreprises privées. Le secteur public est concerné, et l’Etat en particulier.

Il s’agit des coûts engendrés par une activité, et dont le Prix est payé par d’autres que ceux qui en sont responsables. Par exemple, la pollution d’une rivière par une usine ou une unité d’épuration d’eaux usées mal exploitée a un coût pour la collectivité. Besoins accrus de traitement de l’eau potable, problèmes de santé publique et d’alimentation du bétail, dégradation de Valeur touristique, pertes de biodiversité et appauvrissement des pêches, etc. Les payeurs sont nombreux, immédiats ou décalés dans le temps quand la pollution se concentre et s’accumule. Ces coûts « externalisés » sont en général bien supérieurs à ce qu’aurait coûté le traitement de la pollution « à la source », mais ils sont diffus, et ne sont pas payés par les mêmes personnes.
Toutes les Politiques environnementales de lutte contre les pollutions depuis des années ont cherché à internaliser ces coûts. Deux manières de procéder, souvent combinées, soit faire payer les pollueurs, soit les conduire à réduire et traiter leurs pollutions chez eux.
L’Etat et les collectivités publiques ne sont pas à l’écart de cette logique. Pendant longtemps, les communes externalisaient le traitement des déchets en les abandonnant dans des décharges plus ou moins contrôlées, avec à la clé des pollutions de sols, d’eau souterraines et de rivières, sans parler du paysage. L’internalisation, sous forme de traitement de ces déchets dans des usines, représente un coût à financer par des redevances, immédiatement perçues auprès des producteurs de déchets ménagers que nous sommes tous. L’extrême  diversité des politiques environnementales des collectivités montre qu’il est possible de jouer sur le niveau d’externalisation : une règle d’or pourrait conduire à alléger des contraintes (ou à abandonner des ambitions) environnementales pour réduire des dépenses publiques. Ce serait le contraire de l’objectif affiché si le coût pour la collectivité, tout compris, en était accru. Avec des déclarations du type « L’environnement, ça suffit », on voit bien que cette éventualité ne peut être écartée. Si la vigilance des protecteurs de l’environnement se relâche un tant soit peu, la règle d’or pourrait se traduire par une dégradation immédiate ou à terme du patrimoine commun. Ces dérives ne se produiront évidemment pas dans un Etat qui se veut « exemplaire », mais les conditions sont réunies pour que la tentation prenne consistance. Ajouter une crise conjoncturelle sur les finances publiques, et le pire est à craindre.
Une collectivité peut également laisser filer un patrimoine collectif pour obtenir des recettes fiscales immédiates. Externaliser revient alors à prélever des ressources (ou autoriser ce prélèvement) sans les payer. Un paysage, une qualité de l’eau, une culture populaire, et bien d’autres qualités d’un environnement humain, social, physique ou biologique peuvent ainsi être bradées pour assurer des recettes bienvenues pour une règle d’or. Un exemple pris dans l’actualité de cet été (étude du Programme des Nations Unies pour l’Environnement, PNUE, publiée en aout 2011) illustre ce danger, sans même qu’il n’ait besoin de règle d’or. Pendant 50 ans, l’exploitation pétrolière au Nigéria a pu abonder des recettes de l’Etat tout en appauvrissant le pays, sur le plan humain comme sur le plan écologique. Cas extrême, espérons-le, qui montre avec force que l’intérêt collectif et celui d’un Etat ne sont pas forcément en accord. D’autres formes de valeurs peuvent être bradées, en particulier des valeurs immatérielles, plus discrètes, comme des savoir-faire, des paysages, des politiques techniques, des grandes entreprises publiques, etc. L’Etat, par le jeu des autorisations qu’il accorde, ou des lois qu’il adopte, peut ainsi acheter une bonne santé financière en externalisant des charges.
Réduire des contraintes de mise sur le marché de substances chimiques ou de médicaments, alléger des procédures en mettant en question le principe de précaution, sont des manières d’externaliser des risques. Cela peut permettre de réduire le nombre de fonctionnaires, ou de booster des activités créatrices de recettes budgétaires, mais à quel prix ?
Bien sûr, ces perspectives semblent irréalistes, pour un Etat sophistiqué comme le nôtre. Des mécanismes de contrôle, des courroies de rappel, des instances judiciaires, des organisations citoyennes, il existe un bel ensemble d’instruments et d’institutions qui rendent improbables ces errements.
Mais la règle d’or est une réponse à une situation de crise, et nous savons bien que les garde-fous qui nous rassurent peuvent bien être emportés pas une tourmente. Les crises que nous connaissons depuis quelques années – financières, mais aussi énergétique, alimentaire, biologique, etc. - relèvent de la tectonique des plaques. Des ajustements sont en cours, inéluctables et lourds de conséquences. Les rigidités de nos sociétés provoqueront sans Doute quelques craquements, malgré les efforts d’adaptation que le développement durable préconise. D’autres tourmentes sont à craindre, qui exigeront des mesures prises dans l’Urgence, pour parer au plus pressé. Nos garde-fous sont-ils indéboulonnables, dans ces conditions ? L’hypothèse d’externalisation massive de charges ne peut être exclue si la règle d’or ne porte que sur un équilibre formel et exclusivement financier.

 


Chronique mise en ligne le 5 septembre 2011 

 

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