Optique
Au moment où nous devons tout mettre en œuvre pour trouver de nouvelles formes de « progrès », les trains qui n’arrivent pas à l’heure occupent le devant de la scène. Une erreur d’optique qui fausse les jugements, au moment de prendre les décisions.
Ce sont les lois de la communication : on ne parle pas des trains qui arrivent à l’heure. Seules les difficultés apparaissent, les échecs, les défauts. Etonnez-vous ensuite que la morosité progresse, que la nostalgie du passé domine, c’était mieux avant, que tout changement soit reçu avec méfiance. La jeunesse et le comportement des jeunes est en première ligne : Ils ne font que des bêtises, ils ne savent pas travailler, ils n’écoutent pas, etc.
Bref, tout observateur extérieur pourrait penser que la relève n’est pas au rendez-vous, que c’est la fin d’une civilisation, d’une culture, des savoir-faire ancestraux. Heureusement, ce n’est pas le cas, car le plus souvent les arbres des échecs et des problèmes cachent une forêt d’initiatives et d’actes généreux. La loupe fixée sur des trains qui n’arrivent pas à l’heure produit malgré tout un effet d’optique déplorable, qui donne une importance exagérée aux problèmes et fait perdre confiance dans l’avenir. La prise de risque, tant vantée par ailleurs, est mal partie.
Les effets d’optique sont bien sûr exploités par des intérêts ou des idéologies, et elles peuvent conduire à des erreurs d’interprétation dramatiques, au moment où nous devons chercher de nouvelles formes de progrès.
Cette manière de penser est sélective. Elle choisit ses sujets de prédilection, pour ne pas dire ses têtes de turc. Les jeunes en sont un exemple, et de nombreux services publics, qui se dégradent par définition. Les migrations offrent un parfait exemple d’illusion d’optique. Nombreux sont ceux qui croient que l’intégration se fait mal ou pas du tout. L’INED (1) vient de publier le résultat d’une étude menée avec l’INSEE sur « la diversité des populations de France », et intitulée « Trajectoires et origines ». Il s’agissait d’aller au-delà des « idées reçues et des représentations stéréotypées » courantes dans le « débat public ». Le tableau est beaucoup moins sombre que celui colporté habituellement. « Ainsi, même si les difficultés sont réelles et ne doivent pas être minimisées, les trajectoires de réussite à l’école côtoient les sorties précoces du système scolaire, le niveau de qualification des immigrés augmente considérablement depuis trente ans, la concentration spatiale n’est pas nécessairement synonyme de relégation, et les représentations de repli communautaire ne correspondent pas aux observations de la croissante mixité des mondes sociaux dans lesquels évoluent les immigrés et leurs descendants ». Les 2/3 des descendants d’immigrés « se mettent en couple avec des personnes de la population majoritaire ». L’intégration porte également sur le point sensible de la religion : « Dans le registre de l’identité religieuse, la comparaison des groupes selon leur lien à la migration conduit au constat d’une sécularisation progressive au fil des générations. La proportion d’athées et d’agnostiques passe ainsi de 19 % parmi les immigrés à 23 % parmi les descendants de deux parents immigrés et 48 % pour les descendants d’un seul parent immigré, un niveau similaire à celui de la population majoritaire (49 %) ».
Les nouveaux venus peuvent apporter beaucoup à leur pays d’accueil. « Le cadre social hérité de la famille pour les descendants est transformé par l’accès aux ressources disponibles dans la société française ». Voilà donc une opération gagnant gagnant, mais à la condition que la rencontre des cultures se passe bien. La discrimination dont font l’objet de nombreux immigrés est un frein à cette osmose. Ils ne se sentent pas reconnus ni admis dans la société française. « Ce « déni de francité » témoigne des résistances de la société française à intégrer certains descendants d’immigrés nés en France. En dépit de cette expérience de rejet, les immigrés et descendants d’immigrés adhèrent massivement à l’identité française. Aux propositions « Je me sens chez moi en France » ou « Je me sens Français », une immense majorité répond « d’accord » ou « tout à fait d’accord », dans tous les groupes d’origine ».
Bien sûr, les populations d’immigrés sont hétérogènes, comme ce que les chercheurs de l’INED et de l’INSEE appellent la « population majoritaire », ceux dont les 2 parents sont nés en France. Il y a des échecs, d’autant plus que les conditions d’intégration sont difficiles. Mais ils ne doivent pas faire oublier que dans la plupart des cas l’immigration se traduit par une intégration, et qu’une politique volontariste dans ce domaine renforcerait encore ce résultat. Dommage que l’un des principaux débats dans notre société aujourd’hui soit marqué par une grossière erreur d’optique.
1 - Institut national d’études démographiques
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