ELLE
Le magazine ELLE publie un numéro vert. Pas un numéro gratuit, restons sérieux, mais un numéro consacré à la planète : Et si on vivait autrement ? Objectif : se faire du bien et aimer la planète. Bravo, voilà un message engageant, qui annonce clairement la couleur : il n’est pas besoin d’être une martyre ou une masochiste pour être écolo. Le beurre et l’argent du beurre sont au rendez-vous, et la crémière s’appelle Marion Cotillard, rédactrice en chef de ce numéro vert.
Saluons donc l’initiative de cet hebdomadaire influent. On aimerait juste que ce ne soit pas une exception, un numéro emblématique mais isolé au sein d’une collection bien éloignée des préoccupations du développement durable. Espérons que ce numéro fera école, et que par la suite, tous les articles qu’ELLE publiera seront empreints de la même préoccupation, se faire du bien et aimer la planète. Quand verrons-nous, dans les fiches descriptives des produits proposés aux lectrices, quelques indications genre bilan carbone ou empreinte écologique ? Sans parler des comportements, du mode de vie vanté implicitement par chaque article, par chaque interview. Tout comme pour la journée de la femme, l’objet (si on ose dire, pardon pour la provocation) distingué ne doit pas être oublié une fois le projecteur tourné dans une autre direction. Espérons qu’il n’y aura pas besoin d’une rédactrice en chef extérieure, hormis le côté promotionnel, pour que la rédaction toute entière, ainsi, bien sûr, que la régie publicitaire, imbibées des valeurs du développement durable, ne les prennent en charge naturellement.
Cette première initiative, louable, permet en outre de déceler dès maintenant des écueils à éviter, des marges de progrès. Hasardons-nous sur ce terrain de l’amélioration continue. Oui, il faut rendre le développement durable attractif, oui, il faut s’adresser aux groupes sociaux faiseurs d’opinion, qui donnent le ton et entraînent la société. Mais pourquoi donner dès la couverture une image rétro du développement durable ? Le développement durable est résolument moderne, et cultiver la nostalgie est une facilité immédiate mais trompeuse. Surtout quand cette nostalgie confond l’amour de la nature et le retour à la nature, alors que nos modes de vie sont et seront de plus en plus urbains. Non à une approche rurale, pour ne pas dire rustique, il va falloir apprendre à être écolo en ville.
D’accord pour une belle image, bien propre et bien lissée, mais nous voudrions être bien sûrs que les carottes et les navets nickel chrome que l’on aperçoit dans le tablier de Marion n’ont pas été lavés à l’acide, tellement ils apparaissent resplendissants. La nature n’est pas calibrée, elle est sauvage, indisciplinée, dommage de l’enfermer dans une image aussi convenue.
Nous savons bien que la photo de couverture est un support publicitaire, mais en l’occurrence, la nature semble bien instrumentalisée : notre rédactrice en chef en vert est devenue le support d’un catalogue de produits : Elle porte une robe bustier en soie (Christian Dior) sous un gilet de coton grosse maille (Athé Vanessa Bruno), mise en beauté Christophe Danchaud, avec les produits cosmétiques du Dr Hauschka etc. Que la nature fasse vendre, pourquoi pas si les produits sont effectivement friendly pour l’environnement, mais la notion même de bilan environnemental, de repères pour aider la consommatrice dans son choix, est totalement absente de la présentation. Ce sera la prochaine fois.
Le côté luxe que la référence à Christian Dior évoque n’est pas en soi un problème, nous l’avons déjà évoqué dans ce blog, à condition que les produits de luxe ne soient pas prédateurs de ressources, ainsi accaparées au profit exclusif des privilégiés, mais qu’ils soient riches en travail qualifié, en talent, en art, plutôt qu’en matières et en énergie. Ce serait pas mal, quand même, de compléter cette approche par une autre plus populaire, il n’est pas besoin d’être riche pour aimer la planète comme le dit le titre du magazine.
De même, la mode peut être un accélérateur de prise de conscience, bien appréciable quand on nous dit que la terre brûle, et qu’il faut faire vite pour inverser la tendance. Attention toutefois à ne pas oublier d’accrocher quelques wagons à la locomotive de la mode, wagons culturels et comportementaux, et de profiter de la tendance pour intéresser les lectrices (teurs) à de nouvelles questions, sur l’origine des produits qu’elles utilisent, la manière dont ils sont élaborés, ce qu’ils deviennent après usage. Bref, ce serait une occasion ratée que de ne pas profiter de l’engouement pour le naturel pour provoquer une saine curiosité, pour stimuler un esprit citoyen. Une mode en chassant une autre, ne pas oublier de poser quelques cliquets pour rendre les avancées irréversibles. Il faut rendre les consommatrices (teurs) averties et exigeantes. Tant mieux si la mode peut y aider.
Encore bravo à ELLE, et bonne chance dans sa reconversion en un magazine écolo, dans sa tentative de marier mode et écologie. Merci de rendre attractive la défense de la planète, mais attention à ne pas donner du développement durable une image trop conventionnelle et réductrice.
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