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Communication

Désirable

Souvent le mot Désirable est accolé à Durable. Le développement durable ne serait pas en soi désirable, qu’il faille le préciser ? Pourquoi cet ajout, quel sens donner au mot Désirable, sachant que le désir des uns n’est pas le désir des autres ?

Le développement durable n’existe pas. Nul ne peut le décrire, tout comme le « Grand soir ». Il reste une orientation, une étoile de Sirius, qui donne du sens aux choix que nous faisons, nous, les acteurs de la société, consommateurs et citoyens, décideurs politiques ou économiques, influenceurs culturels, etc. Le développement durable est une construction collective, qui s’enrichit chaque jour, parfois avec des échecs et des déceptions, voire des régressions.

Le chemin est à explorer, dans un contexte de nombreuses incertitudes, de diversités des cultures et des attentes. Des experts, des « sachants », tentent d’éclairer la voie : ils posent des balises, signalent des impasses et des écueils, fournissent des indicateurs qui nous permettent de suivre notre progression. Ils nous décrivent ce qui a été fait ailleurs, et dont nous pouvons nous inspirer, chacun dans son propre univers. Mais c’est à la société tout entière qu’il revient de choisir son mode de développement. De même que le bonheur ne s’impose pas par la force, le développement durable ne peut venir « d’en haut ». Dans l’histoire, toute tentative d’apporter le bonheur à des populations qui en seraient éloignées, se sont soldées par des catastrophes humaines. Dictatures, colonialisme, racisme et ségrégation, etc. Toujours avec de bonnes intentions, bien sûr. Parfois avec sincérité, et souvent avec cynisme. Ce qui explique la prudence de certains états à s’engager sur la voie du développement durable, perçu comme un nouvel avatar du colonialisme.

Le développement durable ne s’impose pas plus que le bonheur. Il faut en donner l’envie, le rendre « désirable ». La « fin du monde » n’est pas en soi un argument pour contraindre chacun à adopter un comportement estampillé DD.

Tout le monde ne pense pas ainsi. Certains voudraient contraindre les populations et les Etats à adopter un mode de vie compatible avec la lutte contre l’effet de serre ou la chute de la biodiversité. Les régimes autoritaires seraient d’ailleurs les mieux placés pour faire face à ces obligations (1). Triste perspective, à laquelle s’oppose une approche plus positive, exprimée par l’adjonction du mot Désirable, développement durable et désirable. La préoccupation du désir montre une orientation bien différente de celle de la coercition, une sorte de dictature des « sachants » qui imposeraient sa vision au bon peuple. Ce modèle ne serait d’ailleurs pas le plus performant pour obtenir le changement. Des résistances ne manqueraient pas de se manifester. Batailles d’arrière-garde, dissimulation, contournement, etc. Donner envie du changement, d’y participer, est une voie plus prometteuse. Reste à savoir ce que le terme Désirable désigne.

Le militant écolo, le migrant déraciné et démuni, et le jeune cadre arriviste n’en n’ont sans doute pas la même idée. Le défi est donc de faire émerger une conception largement partagée, et suffisamment attractive pour mobiliser le plus grand nombre. L’appel à la raison ne suffit pas, il y a bien d’autres ressorts dans nos têtes, des contradictions dont il faudrait sortir par le haut. Des mythes, au lieu des discours, comme le suggère Alejo Carpentier(2). Jouer sur la sensibilité, laquelle est le moteur de l’intelligence comme le dit un précurseur du développement durable, Paul Valéry. Les experts ont bien sûr un rôle à jouer, pour décrire le fond de décor, donner des repères, alerter sur des dérives manifestes, mais ce sont les acteurs ordinaires de la société qui construisent leur mode de développement. A eux de faire en sorte qu’il soit durable, à nous de leur en donner l’envie, de le rendre désirable. Le mot n’a donc pas de sens universel, il est fortement lié aux modes de vie de départ, à la culture et aux valeurs de chaque groupe humain. Nos sociétés ne sont pas homogènes. Il s’y trouve notamment des réfractaires au changement. Soit par paresse intellectuelle, par conservatisme, par défense de leurs intérêts que la transformation pourrait compromettre. Il y a aussi des militants du développement durable ou de l’environnement qui ont vite fait d’effaroucher leur entourage avec des exigences répétées, sans mettre en regard l’amélioration de la qualité de la vie que le développement durable leur apporterait. Il faut donc séduire pour rendre audible un discours « développement durable ». Rendre le développement durable « désirable » n’est pas un slogan, c’est une nécessité, pour en donner envie.

1 Voir notamment à ce sujet L’EFFONDREMENT DE LA CIVILISATION OCCIDENTALE
2 Dans Le partage des eaux, aux éditions Gallimard pour la traduction française, 1956

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