Code
Le code-barres a envahi nos paysages quotidiens. Il s’ajoute à de nombreux codes, mais le code est aussi une manière de lire un mot, et de lui donner un sens. Le développement durable n’échappe pas à cette approche.
Les codes sont partout. Certains sont officiels, comme le code de la route ou le code civil. Ils couvrent les domaines et nous disent comment vivre : code de la construction, de la santé, de l’environnement, du commerce, etc. Ils composent notre univers juridique.
D’autres sont imposés par la société, comme le code de bonne conduite, et les différents codes moraux. Le « code de la rue » voudrait bien s’imposer parmi ces codes moraux. Il y des codes encore plus profonds, comme les codes génétiques, système d’information que les savants essayent de décrypter. Code est aussi un langage, le code des signes, les codes secrets, pour communiquer entre initiés.
Dans la vie, beaucoup de signes et de paroles doivent être décodés, pour être bien compris. Les mêmes mots n’ont pas le même sens selon le code que l’on utilise. Les langages professionnels sont souvent codés, pour laisser le profane à l’écart. Idem pour les spécialistes de tel jeu ou tel sport. Le code permet de se reconnaître entre membres d’une même communauté.
Il faut donc veiller, pour celui qui veut s’exprimer au-delà de son cercle habituel d’interlocuteurs, à éviter de s’enfermer dans un code, qui réduirait l’audience du discours à ceux qui le connaissent déjà. C’est d’autant plus important que l’objectif est de mobiliser de nouvelles énergies.
Les mots sont souvent à plusieurs sens. Dans le domaine du développement durable, Précaution a un sens bien précis, hélas différent de celui qui lui est donné dans la vie courante. Les malentendus qui en résultent sont nombreux, et auraient pu être évités avec une expression plus spécifique qui nous aurait épargné le mélange des codes.
Le mot développement durable, qui fait encore l’objet de débat, est un nom de code. Le mot n’est qu’une porte d’entrée dans un univers, et c’est ce dernier qui est important. Il ne faut pas toutefois que les critiques de la porte n’empêchent d’entrer. Pour aller au-delà des polémiques stériles, affichons le caractère codé de mot, et prenons-le pour tel.
Le mot existe depuis 30 ans, et a connu sa première grande reconnaissance dans les travaux préparatoires à la conférence de Rio de Janeiro, avec le fameux rapport Brundtland, Notre avenir à tous(1). Pour la plupart de nos concitoyens, il reste un mot flou, fourre-tout, un concept valise, une auberge espagnole. Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène.
Le développement durable est fortement corrélé à l'environnement, même si tout le monde s'accorde à lui donner un sens plus large ; mais le concept et le mot environnement, eux-mêmes jeunes, à peine digérés dans nos langages et nos esprits, sont également très ouverts. Ils couvrent un large espace, de la proximité à la planète. Certains y voient essentiellement le cadre de vie, le paysage, et le caricaturent volontiers en parlant des petites fleurs et des oiseaux ; d'autres y voient des gros sous, avec des activités liées aux déchets et à l'eau, aux services publics urbains ; l'environnement, c'est aussi le patrimoine, les ressources naturelles, point de départ obligé de toute économie. On est loin d'une vision commune, et le développement durable, dans le prolongement de l'environnement, est victime de son caractère composite.
Curieusement, l'évidence du concept, satisfaire nos besoins sans compromettre les chances de nos descendants de satisfaire aux leurs, est sans doute un handicap : c'est trop évident, personne ne peut plaider l'inverse, la terre brûlée au sens propre. Comme un concept consensuel n’intéresse personne, il faut donc le livrer à des exégètes, lui trouver des assises théoriques, qui, elles, ouvrent la voie du débat, et permettent de traduire le développement durable en termes professionnels, vite rendus incompréhensibles par le profane.
On a ainsi fait du développement durable une affaire compliquée, avec ses spécialistes. Un objet d'études. Rendez-vous compte : trois piliers, et peut-être quatre avec la culture, et pourquoi pas cinq avec la santé ? 27 principes, et la « bonne gouvernance », le tout à conjuguer ensemble. Il en faut un bon coup de main, pour faire prendre une telle mayonnaise. Tout ça n'est pas très communiquant, alors que justement, le développement durable a besoin avant toute chose de l'adhésion de chacun. La présentation qui en est donnée le plus souvent en fait une affaire de spécialistes, avec un vocabulaire codé, des mots clés, comme précaution. Le développement durable est ainsi devenu une affaire de spécialistes et de militants, au lieu d'être présenté comme une affaire d'évidences, facile à comprendre, auquel chacun peut contribuer, même si l'enjeu est énorme, et les inconnues encore nombreuses.
Cette difficulté à donner un sens précis et reconnu de tous au terme « développement durable » ne doit pas laisser indifférent. Elle témoigne de la difficulté à traduire les choses les plus évidentes, les plus simples, tant nos esprits sont emplis d’a priori, structurés par des codes forgés par l’éducation, les médias, notre histoire personnelle à chacun, empêchant ainsi de se référer aux choses élémentaires, de revenir aux origines. Comme le dit le célèbre économiste John Maynard Keynes, la difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes.
1 - Éditions du Fleuve, 1987 pour l'édition française.
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