Catastrophe
La crainte de la catastrophe est souvent évoquée pour "vendre" le développement durable. Une approche souvent contre-productive, et de surcroît bien dangereuse.
Les nombreux reportages sur les catastrophes mettent en évidence un sentiment fréquent : elles sont la manifestation d’une colère divine.
La catastrophe est un châtiment, mérité puisque nous avons évidemment négligé la parole de Dieu. C’est ainsi que les cyclones et les tremblements de terre deviennent des occasions en or, qu’ils offrent des cadres exceptionnels pour les prophètes de tous poils. Les intégristes trouvent dans les ouragans la justification de leur intransigeance, et déferlent en masse sur des populations très fragilisées et à la recherche désespérée de soutiens. Ils sont beaucoup moins inoffensifs que le prophète Philippulus cher aux lecteurs de Tintin (1). Tout leur devient permis, jusqu’aux enlèvements d’enfants comme on l’a vu à Haïti avec des évangélistes américains à la suite du tremblement de terre. On a de quoi s’inquiéter puisque le réchauffement climatique pourrait bien augmenter la fréquence et l’Intensité de ces phénomènes.
Ces fameuses catastrophes sont le plus souvent le fruit d’erreurs humaines. Ce sont les déchainements de la nature qui les provoquent, mais ceux-ci seraient sans effet notable si les Hommes n’avaient pas construit sans précaution par exemple. Nous avons été imprudents, nous avons joué à l’apprenti sorcier. Derrière ces comportements, se trouve souvent le désir de dominer le monde, et on prend facilement ses désirs pour des réalités.
De là à interpréter ces erreurs comme des défis aux dieux, il n’y a qu’un pas vite franchi. Un défi aux dieux de la terre qui tremble, à Hadès et ses émules des profondeurs terrestres, aux dieux de la terre ; un défi aux océans de Poséidon, qui active les tsunamis pour lancer la mer à l’assaut de la terre ; un défi à Déméter et aux dieux de la pluie qui délaissent des territoires entiers ou les inondent sauvagement. Sans parler des dieux locaux, ceux de la rivière, de la montagne ou de la forêt.
Derrière ces défis aux dieux, on ne trouve que des défis à la science et à la sagesse. Mauvaises pratiques agricoles, prélèvements brutaux et exploitation « minière » des milieux et des espèces naturels, urbanisation excessive et maladroite, destruction de milieux temporisateurs et nourriciers, déversement de produits toxiques dans les rivières, les mers, les sols et l’atmosphère. Mais il est tellement tentant de déplacer le problème. On n’est plus dans le domaine de l’intelligence, qui aurait du nous éclairer, mais de la morale, et de comportements impies.
Le châtiment est attribué à nos errements religieux et à la décadence des mœurs, et non au mépris des Lois de la nature, de la biologie et de la physique. Les mécanismes sociaux et économiques qui conduisent à ce résultat sont ainsi écartés de la réflexion, puisqu’il s’agit de la colère divine. Des affaires célèbres dont les textes sacrés regorgent, comme le déluge ou la destruction de Sodome et Gomorrhe, ont inscrit dans les esprits la connexion catastrophe – péché. En définitive, les catastrophes servent les intégrismes qui y trouvent une eau trouble où pêcher leurs victimes. L’examen de conscience tient lieu d’analyse objective des causes, et la repentance devient la solution. L’obscurantisme prospère. Le développement durable est mal parti.
Le discours sur la catastrophe comme argument de vente du développement durable doit ainsi être revu. La peur conduit au repli sur soi, et au recours aux bonnes vieilles solutions, celles qui ont fait leurs preuves. On oublie vite que ce sont elles qui, justement, nous ont conduits au bord du gouffre. Au milieu du gué, la tentation est forte de revenir sur la rive de départ, au moindre imprévu. Si la panique s’ajoute à la peur, tous les débordements deviennent possibles, comme ceux des intégristes qui accourent « au secours » des victimes. La catastrophe fait rarement rebondir. Elle décourage, elle donne le pouvoir aux « prophètes », elle ouvre la voie à des dérives multiples, des fuites en avant. Repli et fuite empêchent de regarder les choses en face, et de prendre les bonnes décisions.
On ne peut nier que des catastrophes nous guettent, localisées comme les inondations au Pakistan ou les Incendies en Russie cet été, ou plus globales comme la disparition de la richesse biologique et l’affaiblissement de nos ressources primaires. Faut-il pour autant fonder la mobilisation pour le développement durable sur la crainte de ces catastrophes ? Il y a tout lieu de croire que cette stratégie, largement développée et reprise par les medias, ne soit pas la bonne. Comment expliquer, sinon, que nous ne soyons pas tous écologistes, quand on voit l’imminence et l’importance des dangers dus aux agressions que nous infligeons à la planète ? Les mauvaises annonces provoquent la surdité et l’aveuglement, nous ne voulons pas savoir.
C’est en offrant de nouvelles perspectives que l’on sortira de cette spirale négative. Le développement durable n’est pas notre avenir parce que « nous n’avons pas le choix », mais parce que c’est passionnant de construire un monde différent, c’est excitant de relever des défis.
1 - Dans l'Etoile mystérieuse, 1942
Chronique mise en ligne le 13 novembre 2010
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