Universalité
En marge des travaux du Comité pour la fiscalité écologique, il est bon de mettre cette préoccupation en regard des principes généraux de notre fiscalité, notamment celui d’universalité, fondateur de notre république et des droits de l'Homme.
C’est un des 5 grands principes de notre fiscalité, aux côtés de l’annualité, l’unité, la spécialité, et la sincérité. Selon Wikipédia, « l'universalité implique le rassemblement (dans un document unique) en une seule masse de l'ensemble des recettes brutes sur laquelle doit s'imputer l'ensemble des dépenses brutes ».
Elle semble avoir reçu de nombreux coups de canif, toujours avec d’excellentes raisons. L’une d’elles est la rigueur budgétaire. Il a été décidé de ne pas créer de dépense sans trouver la recette correspondante. C’est la sagesse, direz-vous, mais en réalité, ce bon principe a conduit à explorer le gisement fiscal pour trouver des veines encore exploitables, à chaque fois que l’on voulait accroître une dotation. Une dépense et une recette équivalente qui se trouvent ainsi associées, mais le plus souvent sans lien particulier. Un exemple fameux est la journée de travail pour financer la dépendance. Une recette spécifique dédiée à une dépense, le principe d’universalité n’est pas véritablement honoré… Et ne parlons pas de la vignette automobile, en son temps, pour financer la retraite des vieux!
Dans le contexte budgétaire actuel, le phénomène symétrique se produit souvent : après inventaire, il est convenu qu’une économie de X milliards peut être trouvée dans un secteur, et la proposition complémentaire suit immédiatement derrière : elle pourrait être affectée de telle manière, tant pour la dette, tant pour telle action, tant pour telle autre, etc. Pauvre universalité, qui prend des coups de tous les côtés, alors qu’en ces temps difficiles, elle aurait du sens, du fait de la souplesse qu’elle offre en permettant un redéploiement sans contrainte. Une des causes de la situation actuelle est la rigidité de nos institutions et les cloisonnements entre les approches. L’universalité pouvait nous en défendre, elle est là pour ça.
La fiscalité locale issue de la décentralisation a fortement bousculé la règle. Plutôt que de rechercher une logique liée aux domaines de compétence, c’est un équilibre comptable de recettes et de dépenses qui a été recherché. Si on affecte les dépenses des collèges aux départements, quelle recette va-t-on lui transmettre pour faire face ? C’est ainsi que se crée une sorte de sous-universalité, secouée à son tour par des réformes qui ont privé les collectivités de leurs ressources, compensées globalement par des dotations de l’Etat.
Il y a des cas où l’affectation d’une recette fiscale est justifiée, mais ils sont rares. L’environnement nous en donne quelques exemples. Les taxes sur l’eau et les déchets sont directement reliées à un comportement. Je consomme de l’eau, je la rejette dans le milieu chargée de polluants, et l’agence de l’eau me prélève ce qui est nécessaire pour gérer convenablement la ressource en eau et financer la dépollution. Nous sommes dans le cadre d’un service rendu, la fourniture et le traitement de l’eau, et les taxes perçues sont calculées en fonction de la consommation de chacun. Même raisonnement pour les déchets, qui doivent se financer tous seuls, avec une taxe qui paye les frais de collecte et de traitement. Pour le bruit autour des aéroports, la taxe prélevée est directement affectée à l’insonorisation des logements voisins. Il existe un lien clair entre un prélèvement et une dépense, et l’impôt apparait alors comme le prix à payer pour bénéficier d’un service ou compenser un désordre.
En revanche, le financement d’aménités dont le bénéfice est collectif, comme la qualité des espaces publics ou d’un paysage, est naturellement soumis à l’universalité, au même titre que la justice ou la diplomatie. Chacun contribue à proportion de son pouvoir contributif, et non pas en fonction d’une consommation spécifique.
La réflexion est lancée aujourd’hui sur la fiscalité écologique. Elle pourrait remplir les caisses de l’Etat et amener nos concitoyens à devenir plus vertueux sur le plan environnemental. On a pu constater que les taxes dédiées n’étaient pas suffisantes pour changer les comportements de certains pollueurs, qui profitent de gros revenus pour payer au lieu de s’amender. La taxe générale sur les activités polluantes (TGAP) avait cette ambition de dissocier la taxe du phénomène qui la provoque, telle ou telle pollution, de manière à pouvoir la monter à des niveaux vraiment dissuasifs. Mieux vaut taxer la pollution des usines que le travail des ouvriers, pouvait-on dire, au point que la TGAP a été présentée comme un des instruments de financement des 35 heures. Le principe d’universalité permet ainsi à l’environnement de contribuer au budget de l’Etat.
Pourquoi pas, mais que fait-on si les pollueurs s’amendent ? N’y a-t-il pas contradiction entre les deux objectifs, d’une part abonder les caisses de l’Etat et d’autre part faire changer les comportements des citoyens et surtout des entreprises ? L’Etat voudrait à la fois conserver ses recettes et voir la pollution se réduire, c’est le grand écart. Et le risque est grand, en période de disette budgétaire, que l’Etat ne s’accorde trop bien de la pollution. C’est l’effet pervers d’une règle d’or strictement financière et sans prise en compte du prix des dégradations acceptées aujourd’hui, et qu’il faudra payer demain…
Beaucoup d’experts pensent, à l’inverse, qu’un choix doit être fait entre les objectifs poursuivis, et qui doivent l’être dans la durée pour être compris et parvenir à des résultats. Une fiscalité écologique doit demeurer un instrument de politique environnementale, avec un lien direct entre la cause et l’effet, entre telle pollution et tel prélèvement. A défaut, les contribuables se considéreront encore comme des vaches à lait, avec l’environnement comme prétexte à cette traite impopulaire.
Chronique mise en ligne le 6 septembre 2013
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