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La recherche d'économies dans les finances publiques est légitime, mais gardons-nous des raisonnements simplistes.
Un grand media lance une enquête : accepteriez-vous moins de services publics, de manière à payer moins d’impôts ?
Question anodine, dans l’air du temps, mais état zéro de la réflexion. Tout d’abord, elle masque une rupture avec la conception d’origine de la fiscalité. Elle établit un lien direct entre cotisation et service attendu. L’impôt devient une simple manière de payer des services, et chacun en veut pour son argent. Nous glissons ainsi du « citoyen » au « consommateur ». Une différence de taille, qui touche la manière de collecter les fonds. L’impôt « citoyen » est payé en fonction de la capacité contributive de chacun, l’impôt « consommateur » est payé en fonction de l’usage qui est fait des services publics. Une autre philosophie, qui semble faire fi de la solidarité entre les membres d’une même communauté. Elle est déjà en vigueur pour les services publics dont chacun est tributaire en fonction de son comportement. La solidarité n’a pas de sens si elle exonère les plus négligents de leurs responsabilités. Il s’agit de services publics liés au comportement, comme la collecte et le traitement des déchets, qui dépendent du mode de vie et du niveau de consommation. Il faut attendre dans ces situations-là une plus grande attention des usagers, sensibilisés par leur portefeuille. Il y a surement des économies à faire de ce côté-là, mais il y a des limites. Il faut en particulier que les intéressés puissent réellement moduler leur comportement. Prenons quelques exemples pour mettre ces limites en évidence.
L’accès aux transports en commun, largement financés par des prélèvements obligatoires, est significatif à cet égard. L’éloignement domicile-travail, ou domicile-services tels que les commerces, la santé, l’école et les loisirs, entraîne de fait un besoin de mobilité qui n’est pas choisi, compte-tenu des tensions sur le marché du logement aujourd’hui. Les millions de « commutants » qui empruntent les trains de banlieue deux heures par jour ne peuvent être tenus pour 100% responsables de ce comportement. Et nous savons par ailleurs que ces mouvements profitent aussi aux employeurs qui bénéficient ainsi d’un bassin d’emploi élargi, et aux commerces qui disposent ainsi d’un bassin de consommation étendu. Faire payer le service par les utilisateurs n’est pas tout à fait la même chose que de le faire payer par les bénéficiaires, beaucoup plus nombreux mais plus difficiles à identifier.
Un autre aspect du problème est l’efficacité du service public, le rapport qualité-prix. C’est une des raisons qui plaident en fonction du rapprochement cotisation-service. Le contribuable devient un client. Il faut distinguer les cas où la collecte de la contribution du consommateur est facile de mise en œuvre et indiscutable. Dans certains cas, les choses sont claires : la sécurité sur les plages, assurée par des organismes financés par la puissance publique, ne peut être monnayée sur place comme les glaces et autres beignets qui y sont vendus. Un paiement global et collectif, donc par l’impôt, semble plus juste mais aussi plus économique et plus commode qu’un prélèvement au coup par coup, au fur et à mesure que chacun consommerait de la plage. En matière de déplacements, les choses sont bien plus compliquées, comme l’affaire de l’éco taxe l’a montré. Il s’agit bien, pourtant, de faire supporter le coût de l’infrastructure par ceux qui l’emploient et l’usent le plus, mais le collecte d’un péage n’est pas du gout de tout le monde.
Il faut enfin prendre du recul, et observer le budget global du « citoyen-consommateur ». Il sera content de voir ses impôts diminuer, mais il lui faudra payer pour des services autrefois pris en charge, tout ou partie, par la collectivité. Pour rester dans le domaine de la mobilité, l’obligation de fait d’avoir 2 ou même 3 voitures par ménage coûte très cher. Un rapide bilan s’impose pour voir si le gain engrangé d’un côté, moins d’impôts pour moins de services publics, n’est pas repris et au-delà par des dépenses personnelles, non obligatoires en droit mais incontournables dans les faits. Le basculement « obligatoire de droit » vers « obligatoire de fait » doit dégager des économies. Dans le domaine de la santé, la dépense par habitant aux Etats-Unis est de double qu'en France, sans que l'on observe de différence évidente sur la santé des populations.
Moins d’impôts, moins de services, voilà un débat qui ne peut être posé à la légère, dans un pseudo sondage. Chacun convient qu’il faut faire des économies, et que les services publics doivent gagner en performance. C’est l’efficacité du système global, vu dans son ensemble, et dans toutes ses dimensions, qui doit être recherchée. Il n’y a pas de vérité définitive dans ce domaine, et les réponses peuvent varier selon les situations locales et l’avancement des techniques disponibles. Il y a en premier lieu des références à observer, pour maintenir une cohésion dans la société, et assurer la solidarité qui s’impose. Au-delà, nous sommes dans le champ de l’opportunité et du pragmatisme, et surtout pas des choix a priori, toujours teintés d’idéologie.
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