Ecotaxe
Les réactions sur l’écotaxe poids lourds sont riches en enseignements. Elles mettent en évidence les obstacles à franchir pour parvenir à une fiscalité écologique.
Il était une fois un pays où les transports routiers avaient atteint un haut degré d’efficacité. Une grande réactivité, des délais tenus, et tout cela à des prix très modérés. Un succès qui a donné des idées aux autres secteurs d’activité, l’industrie notamment. Celle-ci était assez ancienne, et devait de restructurer. Elle était aussi soumise à des pressions continues concernant l’environnement. Les panaches de fumées et les tuyaux crachant d’horribles effluents dans les rivières, sans parler des décharges de produits toxiques, personne n’en voulait plus.
Contraintes de se moderniser et de réduire leur impact sur l’environnement, les industries ont changé de modèle économique, comme on dit maintenant. Elles ont bien vu tout l’avantage qu’elles pouvaient tirer des facilités de transports. Elles ont réduit leurs stocks. Elles ont regroupé les unités de production, pour constituer des ensembles immenses et très productifs, avec d’excellents rendements et des process de fabrication bien contrôlés du point de vue de leurs rejets. Et ne parlons pas des mauvais élèves qui ont délocalisé ces centres de production pour échapper aux lois environnementales ou sociales.
Dans le bilan environnemental d’un produit livré chez son utilisateur, il y a deux parts, celle de la fabrication, avec les matières premières et toutes les ressources intégrées au produit, et le transport entre le lieu de production et celui de sa livraison finale. Les industriels sont parvenus à réduire leur part, « sorti usine », mais la massification de la production a amplifié le besoin de transports. Le poids de ce secteur s’est accru fortement, et avec lui les problèmes d’environnement qu’il provoque, bruit, effet de serre, pollution de l’air et de l’eau, besoin d’infrastructures qui découpent le milieu et porte atteinte aux paysages et à la biodiversité. De loin, ça donne le spectacle contrasté d’une industrie vertueuse et des transports à la traine. C’est ce qui apparait dans tous les bilans comparés des différents secteurs de l’économie sur les questions de consommation d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre. Le transport routier est en quelque sorte victime de son succès.
Les transports, et tout particulièrement les transports routiers, sont à l’origine de bien des nuisances, à toutes les échelles, du local au global. Un poids lourd use des infrastructures dans les proportions infiniment supérieures à ce que provoque un véhicule léger. Tout cela a un coût, supporté par la collectivité et les autres acteurs de la route, voitures particulières et riverains. Contrairement à ce qui se passe dans l’industrie, où l’on a progressivement instauré le principe pollueur payeur, les transports routiers payent des taxes de manière très globale. Il n’y a pas de lien direct et visible entre la pollution provoquée et les prélèvements opérés sur cette activité. L’industrie a réduit ses coûts en transférant une partie de la charge sur un secteur qui échappe au principe pollueur payeur. Bien joué !
Vient cependant l’heure de vérité. Ce principe pollueur payeur est légitime, et reconnu. La création d’une taxe en application de ce principe ne constitue pas un prélèvement nouveau. La charge est déjà payée, par les victimes. C’est le pollué payeur. Les montants en cause ne sont pas négligeables. ½ point de PIB uniquement pour le bruit, qui est loin d’être la seule nuisance. La création de la taxe n’est en réalité qu’un transfert du pollué vers le pollueur. Quoi de plus légitime, et à deux points de vue. Celui de l’équité, et celui de l’action correctrice. Pourquoi le pollueur s’amenderait-il si ce n’est pas lui qui paye ?
Il reste que l’instauration d’une taxe est toujours délicate. Elle change les équilibres et compromet les modèles économiques des opérateurs. Quand elle s’ajoute à d’autres taxes dont les bases ne sont pas claires, c’est l’ensemble de l’édifice fiscal qui est ébranlé. Une mise à plat préalable est nécessaire, qui permet de purger les incompréhensions et les anomalies, sans compter les arrangements accumulés au cours des années, souvent conclus dans l’urgence pour sortir d’une crise conjoncturelle.
L’écotaxe, celle sur les routes comme les autres que l’on peut imaginer au titre de la fiscalité écologique, présente un risque redoutable pour l’environnement : celle de le faire détester. Elle apparait comme une taxe en plus, et l’environnement comme un bon prétexte pour traire la « vache à lait ». Et bien, on en a marre de l’environnement, comme on en a marre des taxes, tout simplement. Le petit supplément apparu sur les factures des appareils électriques, prélevé pour assurer une fin de vie convenable à tous ces matériels, était modeste, clairement ciblé et transparent pour les commerçants, qui le répercutent intégralement sur le consommateur. Autant de conditions qui ne semblent pas remplies pour l’écotaxe poids lourds.
Les écotaxes et la fiscalité écologique ne peuvent trouver leur place sans une réflexion plus vaste sur les prélèvements. Une clarification préalable et l’assurance que le montant total ne sera pas accentué est nécessaire. La confiance en l’Etat est un préalable essentiel, et nous en sommes loin en France, avec notre histoire fiscale chaotique. Les travaux sur la fiscalité écologique sont engagés, mais des mises en œuvre partielles, ici et là, dans un contexte économique délicat, peuvent compromettre cette réforme par ailleurs incontournable. Elles peuvent aussi éclairer leurs auteurs, et nous éviter bien des déboires.
Chronique mise en ligne le 2 décembre 2013
Suites de la question, quelques mois plus tard LE MONITEUR.FR 3 mars 2014
Sans écotaxe, pas de nouveaux projets de transports en commun
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