Ecart
Le cours du pétrole à la baisse souffle le chaud et le froid. Côté chaud, il réduit de fait les réserves disponibles, côté froid, il encourage la consommation. Comment gérer ce grand écart ?
Nous sommes en pleine contradiction. D’un côté, la baisse du prix du pétrole dans le monde est une bonne nouvelle. L’exploitation de sources « non conventionnelles », dont le prix est élevé, devient impossible. Le prix de vente serait inférieur à celui de l’extraction.
Voilà une baisse inespérée, qui vient couper l’herbe sous le pied des promoteurs des sables et schistes bitumineux et autres « huiles » et gaz de schiste. Sans parler des exploitations en eau profonde, en environnement délicat comme sous les pôles. Le faible prix ne les protège pas de manière absolue, mais il refroidit les ardeurs de nombreux opérateurs.
L’incertitude que ces fluctuations provoque est en soi une bonne chose, en jetant un doute sur la rentabilité de ces recherches, alors que l’annonce d’un prix de 100 £ le baril et même plus ne pouvait qu’encourager les financiers à investir dans les énergies fossiles, quelles qu’en soient les conséquences environnementales. Les ressources non conventionnelles étaient devenus dangereux politiquement parlant en mettant en question la domination des pays du Moyen Orient. Les Etats-Unis sont redevenus auto suffisants ! Intolérable pour l’Arabie Saoudite. Il faut mettre un terme à cette situation, et casser les velléités qui se manifestent ici et là. La meilleure manière est de jouer sur les prix. Et les prix bas sont également un moyen de pression sur la Russie, pour des affaires de politique internationale sans lien avec l’énergie. Ajoutez le retour sur le marché de producteurs comme l’Iran, et vous voyez bien que le contexte politique est bon pour la baisse. Et l’économie s’y met aussi, avec une réduction de l’activité mondiale, et notamment une faible croissance des pays émergents, gros consommateurs qui vont manquer face aux fournisseurs.
L’environnement dans l’élaboration du prix ? Il ne pèse pas lourd, dans ce contexte général, marqué par des considérations de court terme. Le réchauffement climatique est bien une menace à terme, mais elle reste diffuse. Les pollutions des sites sensibles, comme le golfe du Mexique ou l’océan Arctique constitue bien un risque, mais le pari est vite fait sur le progrès technologique qui permettra de les réduire. Même si les risques environnementaux sont mieux perçus aujourd’hui, ils sont bien loin de fixer le prix du pétrole. La vérité des prix est encore à conquérir, alors que le prix est une des clés des politiques environnementales. Les prix sont bas aujourd’hui, profitons de cette aubaine. Nous savons qu’il faudrait laisser profondément sous terre une bonne partie des réserves connues de pétrole. Eh bien les circonstances favorisent la vertu, en décourageant l’acharnement de recherche de nouveaux filons.
Le prix bas, bonne chose d’un côté, peut aussi en être une mauvaise. Le consommateur n’est plus tenu de faire des économies pour équilibrer son budget. Le particulier qui abandonne ses projets d’isolation thermique, comme l’industriel, qui n’a plus d’intérêt à favoriser des techniques économes en énergie. Les énergies « propres », dont les rejets sont nuls ou faibles, et qui deviennent progressivement compétitives, voient les termes de la concurrence se durcir. Le prix bas, aubaine pour maitriser la production, est une catastrophe pour la consommation qui pourrait bien s’envoler.
Une intervention publique est alors nécessaire. Le marché ne permet pas de résoudre la contradiction entre les bons et les mauvais aspects du faible prix du pétrole. Celui-ci doit être conservé pour le producteur, mais corrigé pour le consommateur. La solution réside bien sûr dans un prélèvement fiscal, qui assure un prix plancher pour le consommateur. Un prix qui les conduiront à poursuivre les efforts d’économie et protégera la montée en puissance des énergies renouvelables. Et une taxe qui abondera un budget « énergie et climat », analogue à celui des agences de l’eau pour lutter contre la pollution et protéger la ressource. Une réponse proposée dans son principe depuis longtemps (1) et reprise plus récemment par le Mouvement des Entreprises pour la Nouvelle Economie (MENE) (2), qui l’élargit aux matières premières dans une perspective d’économie circulaire.
Il y a dans les couches géologiques toute l’énergie que l’on veut, mais le problème n’est plus là : ce n’est plus la ressource qui compte, mais le rejet. C’est lui le « facteur limitant », le phénomène qui peut mettre en péril tout l’équilibre de notre société. La puissance publique doit s’interposer, puisque le marché n’intègre pas tous les paramètres d’intérêt général. C’est une manière de créer un double dividende, en gagnant à la fois sur la modération de l’extraction de pétrole et sur celle de la consommation. Une manière intelligente de gérer l’écart au profit de la planète pour demain et des activités humaines d’aujourd’hui.
1 Voir notamment sur ce point le livre d’Henri Prévot « Trop de pétrole », janvier 2007
2 http://adnmonde.fr/le-mene/
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