Mythe
Le développement durable s'imposerait aisément si la raison était le principal moteur du changement, mais nous voyons bien qu'il n'en est rien. Les phantasmes, les rumeurs, la nostalgie du passé pèsent encore lourd. Il faut la force des mythes pour faire bouger une société.
La montée du fondamentalisme et des phénomènes de repli sur soi nous inquiètent à juste titre. La recherche de nouveaux modèles de développement nécessite d’abandonner ceux d’hier, et J.M. Keynes nous a appris que « La difficulté n’est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d’échapper aux idées anciennes ». Pour surmonter cet obstacle, il faut mobiliser les imaginaires, au-delà de la simple raison. « La sensibilité est le moteur de l’intelligence » disait Paul Valéry. Il faut des mythes pour construire le futur.
« Les discours s’étaient substitués aux mythes (1) ». Voilà la situation où nous sommes, les dirigeants sont incapables de faire naître de perspective attractive. Les discours ont perdu toute crédibilité, et aucun mythe fondateur ne vient offrir de vision de l’avenir. Nous sommes dans la crainte du futur, sans se sentir en mesure de faire face. Nous naviguons en pleine incertitude, sans repères, sans boussole. Il en résulte pour beaucoup le retour aux vieilles valeurs, celles du passé. La nature a horreur du vide. C’est la montée du fondamentalisme religieux, du créationnisme et des mouvements populistes, pour lesquels « tout allait mieux avant », et qui tentent de tromper l’incertitude en s’accrochant à un passé imaginaire ou à un ordre divin.
Pour comprendre là où nous allons, des lendemains encore inconnus puisqu’il nous revient de les construire, il faut offrir un imaginaire du futur. Un imaginaire qui ne cache pas sa nature, une forme de rêve, mais qui soit assez puissant pour se substituer à ceux qui nous envahissent et compromettent toute tentative de renouveau. Le développement durable a besoin de mythes. Non pas de certitudes, qui sont par nature fallacieuses et porteuses de déceptions, mais bien de mythes, auxquels aucune personne sensée ne croit réellement, mais qui nourrissent des espoirs en nous donnant l’esprit du futur, à défaut d’en donner les détails. Des mythes, et non pas des discours.
La vie politique traditionnelle est dominée par des gestionnaires. Les financiers ont pris le contrôle, solidement installés sur leurs comptabilités. Nous savons, et eux aussi, que ces comptabilités ne reflètent guère la vie réelle, mais une sorte de fondamentalisme s’est emparé de nos dirigeants, qui les conduit à se soumettre aux exigences comptables formelles. Il leur faut un cadre de référence qui les rassure. Cette approche gestionnaire a pu donner de bons résultats dans des villes, « belles endormies » qui attendaient un souffle nouveau pour se réveiller, mais elles n’offrent pas de vision sur le monde de demain. Les améliorations cumulées au fil des années sont agréables, mais elles ne donnent pas de représentation claire de l’avenir, elles ne nous donnent pas de bonnes raisons de faire des efforts.
Ce sont donc les visions anciennes qui dominent toujours les grands choix. Les Nations Unies ne sont que la juxtaposition des intérêts des nations, et ont bien du mal à faire valoir des intérêts communs aux peuples de la planète. Les objectifs du millénaire, devenus ceux du développement durable (2) ne progressent que bien lentement et restent hors de portée, alors que le monde a su mobiliser les milliards et une grande inventivité financière pour sauver les banques. Il le fallait sans doute, mais nous ne voyons pas la même énergie se manifester pour d’autres causes tout aussi urgentes, comme le climat ou la biodiversité. La gestion domine la vision. Nous pouvons craindre que nous n’ayons toujours pas d’autre référence que « enrichissez-vous », cher à François Guizot. C’était en 1843, sous Louis-Philippe. Si la fameuse affirmation de Bernard Mandeville « les vices privés font la vertu publique (3) » était juste, nous pourrions nous en contenter, mais la « finitude du monde » en montre la limite.
Il nous faut intégrer deux exigences, la finitude du monde et les valeurs de proximité, de reconnaissance personnelle. Deux exigences complémentaires, pour marquer la cohérence des approches individuelles (croissance du bien-être et de la qualité de vie) et de l’approche collective, la planète étant à présent exploitée au-delà de ses possibilités.
Il nous faut des mythes qui stimulent nos imaginaires et ceux de nos dirigeants sur les défis du monde de demain. Le développement durable n’a pas su, jusqu’à présent, les secréter. Ils ne peuvent être construits sur le rejet, comme la peur des catastrophes, approche trop fréquente aujourd’hui. Ils doivent à l’inverse susciter l’adhésion à une vision séduisante et stimuler l’envie de s’engager. Nous ne les trouverons pas sans puiser dans notre culture. « Ah ! Frappe-toi le cœur, c'est là qu'est le génie », nous dit Alfred de Musset. Voilà la piste romantique. Il y a aussi les Lumières, qui ont permis de sortir de l’ancien régime et de ses rigidités. Quelle est la formule qui transformera le XXIe siècle ? Elle devra faire siennes les exigences de la finitude du monde, une découverte dont Paul Valéry a été une des premiers porte-paroles. C’était en 1931, et elle aurait dû bouleverser nos manières de penser depuis longtemps, et provoquer un contrepoids aux approches purement individualistes. Il nous faut encore trouver les mythes qui puissent animer un mouvement social fort et attractif. 2016 sera-telle l’année de naissance de ce mythe ? C’est tout ce que nous pouvons souhaiter de mieux pour la planète, et pour nous-mêmes.
1 Alejo Carpentier, Le partage des eaux, Gallimard 1956
2 http://www.un.org/fr/millenniumgoals/
3 La Fable aux abeilles (1705)
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