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Gouvernance

Impasse

Parfois une prise de risque calculé, comme au bridge ou dans la préparation d’un examen, parfois aussi « la faute à pas de chance » ou fruit d’une obstination, voire d’un aveuglement.

Les nombreux changements de direction que le développement durable exige, à la recherche de futurs inédits, illustrent ces différents cas de figure. Des choix s’imposent, avec le risque de se tromper. Le refus de changer, ou la fuite en avant, sont souvent à l’origine de l’aveuglement. Ses conséquences sont d’autant plus difficiles à accepter. Il en résulte une frustration parfois existentielle, une remise en cause d’une vie ou d’une histoire personnelle, qui peut conduire à la violence. Il est insupportable de s’apercevoir d’avoir investi, affectivement, socialement, et financièrement, dans une voie qui se révèle être une impasse, et encore pus quand c’était prévisible.

L’agriculture nous en offre une illustration éloquente. Le fond de décor en porte une part de responsabilité. La transition d’une France rurale et agricole à une France urbaine et industrielle tout d’abord, ensuite tertiaire. Objectif affiché dès le commencement : transférer le la main-d’œuvre, et contenir les prix agricoles au plus bas possible, pour permettre des bas salaires et favoriser l’essor industriel. L’agriculture dépouillée et exploitée pour construire une France moderne et compétitive.

Ajoutez le discours toujours dominant tel que « l’avenir est dans les villes », le retrait des services publics, des services de santé et de nombreux commerces, et vous comprendrez que les agriculteurs aient le sentiment d’être abandonnés à leur sort. Il y a bien des discours enflammés sur la ruralité, sur l’apport déterminant de l’agriculture à la France, à nos exportations, autant de cerises sur le gâteau, mais le gâteau n’est pas là.

Sous l’influence notamment de la JAC, jeunesse agricole chrétienne, et avec l’appui d’argent européen, une orientation puissante s’est imposée, avec même un grand dessein, de nourrir le monde. Une nouvelle agriculture se développe, avec le recours à un matériel et des produits, l’agrandissement des exploitations, la spécialisation. Une orientation qui a eu son heure de gloire, mais qui s’avère aujourd’hui à bout de souffle. Dépendance accrue des agriculteurs à des industriels, endettement parfois fatal, faible niveau de vie pour le plus grand nombre, rupture du lien avec le consommateur, et en plus forte contribution à l’effet de serre, à la crise de l’eau douce, polluée et d’écoulement trop rapide, contamination des sols et de l’alimentation humaine, extinction des espèces, etc. Et ce n’est pas fini. Le changement climatique réduit la productivité. A l’échelle mondiale une baisse de 21 % depuis 1961. Un bien triste tableau. Un virement de bord lof pour lof est incontournable. Mais aussi insupportable pour tous ceux qui n’ont pas pu, ou pas voulu, anticiper.

L’impasse est là, mais elle n’est pas arrivée brutalement, nombreux sont ceux qui l’avaient pressentie, et proposé d’autres orientations. Dès 1978, Jacques Poly, Directeur général de l’INRA, constatait un essoufflement et donnait une ligne de conduite porteuse d’un nouveau modèle : Pour une agriculture plus économe et plus autonome. Quelques années plus tôt, en 1972, Sicco Mansholt, vice-président puis président de la commission européenne, avait alerté sur les conséquences du modèle productiviste après en avoir été un fervent promoteur. Ces précurseurs n’ont pas été entendus. Les syndicats agricoles portent une part de responsabilité, eux qui cogèrent le secteur avec les gouvernements.

Le changement se fait malgré tout, mais par à-coup. La tendance lourde s’impose, mais la résistance des agriculteurs bloque. Ils préfèrent d’enferrer dans une impasse, plutôt que d’opérer la transformation qui s’impose. Leurs syndicats, qui auraient dû les mettre en garde pour les protéger, les ont, au contraire, encouragés dans la poursuite d’un modèle obsolète. Ils ont utilisé leur influence sur le Gouvernement pour que l’application française de la PAC, politique agricole commune, y contribue. Comment, aujourd’hui, sortir de l’impasse ?

Deux types d’action pourraient y aider, en se renforçant mutuellement.

Revenons au fond de décor. Il en émane l’impression d’un manque de considération pour les agriculteurs, par ailleurs pressurés pour cause de pouvoir d’achat des autres Français. L’envolée de la part du logement dans le budget des ménages se répercute directement sur les prix agricoles, pour ne prendre qu’un exemple. C’est plutôt en travaillant sur ce fond de décor, la vassalisation aux villes ressentie dans les campagnes, qui permettrait de sortir de l’impasse où l’agriculture s’est mise à force de refuser de s’adapter au nouveau monde qui émerge.

Parallèlement, « vendre » aux agriculteurs un modèle attractif pour leur activité. Le bio est rejeté par une part des agriculteurs dits conventionnels, mais de nombreuses études décrivent l’agroécologie, une forme d’agriculture qui utilise les forces de la nature, à l’opposé des modèles qui la combattent. Tout récemment, le 25 janvier 2024, le haut conseil pour le climat propose une série de dispositions allant dans ce sens. Il sera difficile de convaincre les agriculteurs qu’en consacrant 5% de leurs terres à la nature « sauvage », ils augmenteront leur production de 10%, mais ce sont les résultats observés sur des exploitations en agroécologie. Le développement durable, c’est changer de mode de penser, pour changer ensuite, de mode de vie et de travail.

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