Gendarme
Les statistiques récentes de mortalité sur la route sont inquiétantes. Elles conduisent à s’interroger sur la politique retenue en la matière, peur du gendarme, plutôt que changement culturel.
Quand l’intérêt général passe par des changements de comportements, deux stratégies sont envisageables. Convaincre, et obtenir progressivement que le nouveau comportement s’installe durablement dans la pratique, ou bien réglementer et sanctionner ceux qui résistent au changement : c’est la peur du gendarme.
Deux orientations difficilement compatibles. Le gendarme est présent dans les deux, mais pas à la même place. Quand la formule choisie est la sanction, le gendarme est au centre du dispositif. Il doit être intransigeant sur le respect du règlement. Dans l’autre cas, il n’est là que pour accompagner un mouvement et se manifester que pour une infime part de la population, réfractaire à toute action pédagogique. Un rôle de serre-file, et non de pilier de la politique.
L’hypothèse « conviction » fait le pari d’une forme d’intériorisation d’une exigence nouvelle. Les résultats sont plus longs à obtenir, demandent une continuité dans la politique suivie. L’adhésion des intéressés au modèle proposé sont en retour une garantie de durabilité des résultats obtenus, sous réserve de quelques piqures de rappel de temps en temps. Le rôle du gendarme est amené à s’alléger avec le temps, sans disparaître pour autant.
Le choix « gendarme » repose sur une présence policière forte et permanente. Sans doute, une longue période de contrôle policier finit-elle par influencer les comportements, mais le risque de rechute est toujours présent, les intéressés n’étant pas convaincus de la nécessité, pour eux, du comportement exigé.
En matière de sécurité routière, les résultats obtenus sont impressionnants, si on compare à la situation d’il y a 20 ou 25 ans. Le « facteur 4 » est largement atteint. Fruit d’une continuité dans l’action publique et d’une présence policière symbolisée aujourd’hui par les radars et autres caméras. La communication qui a accompagné ce mouvement n’avait pas pour objet de faire évoluer directement les comportements, mais de faire accepter par la société le renforcement des contrôles et des sanctions. Il y a bien eu une part d’acceptation sur le fond, d’un besoin de sécurité routière, mais très général, pour les autres, reflet dans la vraie vie de la peur d’une amende ou d’un retrait de points sur le permis, et de la peur de l’accident.
Les résultats ainsi obtenus sont fragiles, comme on l’observe depuis le début de l’année 2015. Chacun s’efforce d’éviter le contrôle, et si le sentiment se répand que ceux-ci se relâchent, tout est remis en question. Il faut toujours plus de répression, plus de règlement.
Une communication destinée à intérioriser des comportements aurait été d’une autre nature. Elle n’aurait pas visé l’ensemble de la population, mais les conducteurs à risque, de manière beaucoup plus ciblée. Cela aurait permis de faire des économies et de délivrer un message adapté à ces publics, dans leur langage, aux bons moments et aux bons endroits. La mise en scène de l’accident dans une campagne de publicité à la télévision justifie l’action policière pour l’opinion en général, mais elle est instantanément rejetée, zappée pour parler un français moderne, par ceux qui auraient le plus besoin d’être convaincus.
Le choix de la peur du gendarme traduit une posture de l’Etat et des gouvernants vis-à-vis du public. Une forme de défiance, l’abandon de tout espoir de convaincre durablement des citoyens, et le besoin, par conséquent, de leur imposer par la force le comportement attendu. Il est permis de s’interroger sur ce choix d’un point de vue philosophique, mais il faut aussi se demander si cette politique est bien moderne. A l’heure d’Internet et des réseaux de toutes natures, quand Amazon et Google analysent le comportement et les goûts de chacun d’entre nous à des fins commerciales, faut-il conserver une communication de masse, uniforme, ou faire du sur mesure pour toucher les conducteurs dans leur convictions et leur mode de vie ? Le comportement est largement affaire de statut, de position sociale dans son groupe, dans sa tribu, et c’est en entrant dans cette jungle que l’on peut obtenir des résultats solides, et non par une couverture aérienne forcément lointaine et sans effet.
Cette absence de confiance dans les citoyens, ou cette incapacité à leur parler simplement, dans un langage qu’ils comprennent, n’est pas l’apanage de la sécurité routière. Elle se traduit pas des sanctions négatives, amendes, prison, etc. mais aussi positives, comme des primes pour orienter les choix de nos concitoyens. Des primes qui coûtent très cher, qui perturbent les marchés ordinaires, et qui font des dégâts quand elles ne peuvent plus être assurées. La carotte et le bâton sont encore des modes courants de gouvernance. Est-ce bien durable ? Sans négliger le besoin de sanctions et de récompenses, faut-il lui donner le rôle central qu’il occupe ? Le développement durable a besoin d’adhésion, et c’est celle-ci qu’il faut aller chercher, avec des moyens adaptés. Une adhésion qui amènera les citoyens et toutes les « parties prenantes » à porter les politiques, à contribuer à leur définition. L’Etat verrait sa charge diminuer d’autant, sans que son efficacité en soit affectée. Le gendarme, oui, mais en fond de décor, pas au premier plan.
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