Contre-courant
L’opinion est souvent guidée par les apparences. Mais la surface des choses n’en est qu’un aspect, il faut aller en profondeur, et parfois à contre-courant de ce les apparences indiqueraient.
Le bon sens est parfois trompeur. Souvenez-vous du renard. Pendant des années, il a été exterminé au nom de la lutte contre la rage. Jusqu’au jour où on s’est aperçu que leur destruction dans les secteurs non contaminés était contre-productive. En les éliminant, on favorisait la conquête de ces territoires par des renards en provenance des zones contaminées. Changement de cap à ce moment-là. Au lieu de les chasser, on les a vaccinés. Et ce sont ces renards immunisés qui ont empêché les renards enragés de coloniser de nouveaux espaces.
Le bon sens n’avait pas été de bon conseil. Il est souvent primaire, dans un raisonnement linéaire action/réaction, alors que la vie est complexe, avec des interactions et des interférences. Cette observation est courante en écologie, la science des systèmes. La destruction d’un prédateur, par exemple, au motif de sauvegarder un troupeau de cerfs dans une forêt, s’est révélée catastrophique. La population de cerfs s’est envolée, ce qui a provoqué un surpâturage de la forêt. Les jeunes pousses n’ont pas survécu à cette pression. Très vite, après un pic de population, le nombre de cerfs pouvant subsister sur ce milieu appauvri est retombé à un niveau inférieur à celui qui préexistait, du temps des prédateurs. Sacré bon sens ! Le rôle de régulation des prédateurs avait été oublié. Rappelons qu’ils font aussi le ménage. Ils s’attaquent en premier lieu aux animaux malades ou affaiblis, et participent ainsi à un phénomène de sélection naturelle. Merci, les prédateurs !
Une étude récente sur les loups, réalisée par des chercheurs de l’Université du Wisconsin, conforte cette constatation (1). Les tuer pour protéger les troupeaux ne serait pas la bonne solution. Ce serait même l’inverse. Il faut, pour le comprendre, entrer dans l’intimité des loups. La première espèce domestiquée par l’Homme, rappelons-le au passage, il y aurait 30 000 ans environ. Les loups ont une organisation sociale, avec des meutes et une hiérarchie bien établie. Il ne faut pas jouer avec ce système sans précaution. Sa destruction entraîne un désordre dont les conséquences sont bien pires que la situation de départ. Le groupe s’éclate, la régulation qui existait disparait, ce qui favorise la prolifération de ceux qui restent. Résultat : plus de prédations. Le bon sens est encore pris en défaut, il faut aller à contre-courant.
La difficulté est d’en convaincre les victimes, les éleveurs dans ce cas d’espèce, et de proposer des solutions alternatives. Pour les renards, le vaccin a été cette solution, et il faut trouver son équivalent pour les loups. Le chien, descendant génétique des loups, est une des réponses possibles, pour éloigner les prédateurs des troupeaux. C’est toute l’organisation de l’économie pastorale qui est concernée. La réponse n’est pas simple, et s’inscrit dans une réflexion plus large et plus complexe qu’une série de tirs au loup.
La complexité représente un défi, à l’heure de la communication instantanée, souvent très réductrice. Les visions ultra simplificatrices, pour ne pas dire simplistes, s’imposent souvent, et conduisent à des solutions contre productives. Le débat sur la fiscalité est un bon exemple de cette difficulté. La baisse des impôts est une bonne chose pour l’opinion, mais les « prélèvements obligatoires » répondent à des besoins. S’il faut payer plus cher pour les satisfaire par le biais du marché, l’avantage est fictif, voire négatif. L’approche système de la question est nécessaire, pour que le coût d’un service donné soit optimisé. Il vaut mieux parfois accepter d’entrer dans une démarche collective, que de rester dans une approche personnelle plus couteuse, même si on croit la maîtriser. Les exemples de ces approches systèmes, qui provoque des choix à contre-courant de la croyance spontanée, sont nombreux. Citons, par exemple, la régulation du trafic routier, qui consiste parfois à bloquer les voitures pour gagner du temps. La politique de lutte contre la drogue est de même nature. Au-delà de la consommation, il y a tous les réseaux criminels qui sont concernés, qui influencent grandement l’offre de stupéfiants. La réflexion, et par suite les solutions, doivent intégrer cette complexité, ce qui peut conduire à des mesures paradoxales. Le pragmatisme et l’ouverture d’esprit, un esprit scientifique sans a priori, s’avèrent nécessaires dans ces conditions. Il faut bien sûr y ajouter un effort de communication, car la complexité ne répond pas aux règles d’information habituelles. Il faut du talent pour aller à contre-courant.
1 Etude présentée dans le journal Le Monde daté du 11-12 septembre 2016
Le bon sens est parfois trompeur. Souvenez-vous du renard. Pendant des années, il a été exterminé au nom de la lutte contre la rage. Jusqu’au jour où on s’est aperçu que leur destruction dans les secteurs non contaminés était contre-productive. En les éliminant, on favorisait la conquête de ces territoires par des renards en provenance des zones contaminées. Changement de cap à ce moment-là. Au lieu de les chasser, on les a vaccinés. Et ce sont ces renards immunisés qui ont empêché les renards enragés de coloniser de nouveaux espaces.
Le bon sens n’avait pas été de bon conseil. Il est souvent primaire, dans un raisonnement linéaire action/réaction, alors que la vie est complexe, avec des interactions et des interférences. Cette observation est courante en écologie, la science des systèmes. La destruction d’un prédateur, par exemple, au motif de sauvegarder un troupeau de cerfs dans une forêt, s’est révélée catastrophique. La population de cerfs s’est envolée, ce qui a provoqué un surpâturage de la forêt. Les jeunes pousses n’ont pas survécu à cette pression. Très vite, après un pic de population, le nombre de cerfs pouvant subsister sur ce milieu appauvri est retombé à un niveau inférieur à celui qui préexistait, du temps des prédateurs. Sacré bon sens ! Le rôle de régulation des prédateurs avait été oublié. Rappelons qu’ils font aussi le ménage. Ils s’attaquent en premier lieu aux animaux malades ou affaiblis, et participent ainsi à un phénomène de sélection naturelle. Merci, les prédateurs !
Une étude récente sur les loups, réalisée par des chercheurs de l’Université du Wisconsin, conforte cette constatation (1). Les tuer pour protéger les troupeaux ne serait pas la bonne solution. Ce serait même l’inverse. Il faut, pour le comprendre, entrer dans l’intimité des loups. La première espèce domestiquée par l’Homme, rappelons-le au passage, il y aurait 30 000 ans environ. Les loups ont une organisation sociale, avec des meutes et une hiérarchie bien établie. Il ne faut pas jouer avec ce système sans précaution. Sa destruction entraîne un désordre dont les conséquences sont bien pires que la situation de départ. Le groupe s’éclate, la régulation qui existait disparait, ce qui favorise la prolifération de ceux qui restent. Résultat : plus de prédations. Le bon sens est encore pris en défaut, il faut aller à contre-courant.
La difficulté est d’en convaincre les victimes, les éleveurs dans ce cas d’espèce, et de proposer des solutions alternatives. Pour les renards, le vaccin a été cette solution, et il faut trouver son équivalent pour les loups. Le chien, descendant génétique des loups, est une des réponses possibles, pour éloigner les prédateurs des troupeaux. C’est toute l’organisation de l’économie pastorale qui est concernée. La réponse n’est pas simple, et s’inscrit dans une réflexion plus large et plus complexe qu’une série de tirs au loup.
La complexité représente un défi, à l’heure de la communication instantanée, souvent très réductrice. Les visions ultra simplificatrices, pour ne pas dire simplistes, s’imposent souvent, et conduisent à des solutions contre productives. Le débat sur la fiscalité est un bon exemple de cette difficulté. La baisse des impôts est une bonne chose pour l’opinion, mais les « prélèvements obligatoires » répondent à des besoins. S’il faut payer plus cher pour les satisfaire par le biais du marché, l’avantage est fictif, voire négatif. L’approche système de la question est nécessaire, pour que le coût d’un service donné soit optimisé. Il vaut mieux parfois accepter d’entrer dans une démarche collective, que de rester dans une approche personnelle plus couteuse, même si on croit la maîtriser. Les exemples de ces approches systèmes, qui provoque des choix à contre-courant de la croyance spontanée, sont nombreux. Citons, par exemple, la régulation du trafic routier, qui consiste parfois à bloquer les voitures pour gagner du temps. La politique de lutte contre la drogue est de même nature. Au-delà de la consommation, il y a tous les réseaux criminels qui sont concernés, qui influencent grandement l’offre de stupéfiants. La réflexion, et par suite les solutions, doivent intégrer cette complexité, ce qui peut conduire à des mesures paradoxales. Le pragmatisme et l’ouverture d’esprit, un esprit scientifique sans a priori, s’avèrent nécessaires dans ces conditions. Il faut bien sûr y ajouter un effort de communication, car la complexité ne répond pas aux règles d’information habituelles. Il faut du talent pour aller à contre-courant.
1 Etude présentée dans le journal Le Monde daté du 11-12 septembre 2016
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