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Gouvernance

Contagion

Le virus du développement durable se propage. C'est une contagion qui se répand, sans semer toutefois la terreur. Elle se propage par secteurs, et puis opère des mutations qui lui permettent de contaminer des secteurs proches...

Quand il s’agit d’une maladie, c’est une bien mauvaise chose. Il faut s’isoler, organiser des quarantaines, se vacciner, renforcer les défenses de nos corps pour résister. On le voit avec le mot résistance, il ne faut pas griller ses cartouches pour rien, l’emploi systématique de certaines solutions entraîne une dérive, les agresseurs devenant de plus en plus résistants.

La contagion est parfois bonne. Quand il s’agit d’un rire, ou plutôt d’un fou rire, ça fait du bien ! Il semble qu’aujourd’hui la prise de conscience des enjeux pour la planète soit aussi contagieuse. Il est vrai qu’il y a des agents, comme Al Gore, qui se sont activés ces derniers mois pour que le virus se propage à travers le monde. Cette contagion se retrouve dans les approches techniques, et la démarche HQE, haute qualité environnementale, en est une bonne illustration.

Elle a été conçue pour les bâtiments. Il fallait proposer une manière d’intégrer les questions d’environnement dans la construction, comme ça se faisait dans l’industrie par exemple. La formule a plu, elle a été reprise par de nombreux acteurs. Parfois, elle a fait l’objet de polémiques, mais elle a toujours offert le cadre pour ces confrontations, et a ainsi contribué à faire progresser les pratiques, malgré ses inévitables défauts et faiblesses. La promotion de la HQE s’est faite spontanément, au sein des professions concernées. Quelques manifestations, confidentielles au début, et limitées aux milieux techniques, et une toute petite équipe permanente de l’association qui portait la HQE, même pas une personne à plein temps pendant longtemps. Des moyens dérisoires, si on les compare aux enjeux, près de moitié de la consommation d’énergie en France, le quart de l’effet de serre, la moitié des déchets, etc. Malgré cette faiblesse, les syndicats et organismes professionnels qui constituaient l’association ont vu leur bébé grandir. Il y a eu bien entendu des tricheurs, des maîtres d’ouvrage qui faisaient croire qu’ils faisaient un effort, alors qu’ils ne faisaient qu’un petit geste. Mais à force de se référer à l’environnement, ou à la HQE, on crée une attente, une exigence, à laquelle il faut bien répondre un jour. Les abus ne sont jamais une bonne chose, mais le silence aurait sans doute été pire : une première contagion s’opère par le discours, et à force de dire qu’on fait des efforts pour l’environnement, on finit par être jugé sur ce critère, le virus a trouvé une porte d’entrée dans l’organisme.

L’intérêt porté à la HQE a débordé son milieu d’origine. Du bâtiment, la formule a été appliquée à d’autres ouvrages, et on a vu fleurir les ZAC HQE par exemple. Pur abus, encore une fois, car la formule HQE est le fruit d’un travail collectif, faisant l’objet d’un consensus entre les parties prenantes, et rien de tel n’avait été fait pour les aménagements. Mais l’abus montre un besoin, et la volonté de certains acteurs de progresser. Ces ZAC HQE s’inspirait d’ailleurs souvent de la démarche créée pour les bâtiments, et parfois avec la meilleure volonté du monde, mais un territoire n’est pas une maison, et la transposition directe n’a aucun sens. Il fallait reprendre le travail, et adapter la démarche à un autre objet. La contagion observée a rendu nécessaire ce nouveau chantier, qui a donné des premiers résultats en 2006 sous la forme d’un prototype de démarche "aménagement". Celle-ci a tout d'abord fait l'objet d'un test grâce au volontariat et à l’engagement d’une dizaine d’opérateurs publics et privés. Le résultat a paru suffisamment convaincant pour que la démarche puisse être largement diffusée, et qu'un certificat soit créé, en novembre 2011, pour en vérifier la bonne application sur le terrain.

Pendant ce temps là, une autre contagion se prépare. Une première alerte avait été ressentie avec la construction de la route à grand gabarit, entre Bordeaux et Toulouse, pour les besoins de l’Airbus A 380. On avait alors pour la première fois utilisé le vocable de route HQE, au grand désespoir des puristes de la HQE. Là encore, il s’git d’un abus manifeste de langage, mais qui témoigne à la fois d’une volonté de bien faire, et d’un besoin de méthode du type de ce qui a été réalisé pour le bâtiment. Deux avantages à se référer à la HQE : Le terme HQE est commode à reprendre pour déclarer son engagement ; la démarche elle-même, le contenu, offre un cadre pour la réflexion et l’élaboration des projets. Cadre à reprendre pour un nouveau type d’ouvrage, mais cadre de travail qui a l’immense mérite d’exister. Et de l’abus nait la sagesse : du besoin ainsi manifesté sont sorties des initiatives diverses, jusqu’à la récupération, l’heureuse récupération de ces avancées par une institution qui s’est donnée les moyens de reprendre le travail à la base, dans l’esprit et avec les principes de la HQE "d’origine contrôlée". Le conseil général du Nord, détenteur d’un important patrimoine routier et habitué à la HQE pour ses bâtiments, est devenu le porteur d’une nouvelle dimension de la HQE, et, après une période d’études, a lancé des opérations pour tester une formule HQE routes. La contagion a pris un nouvel essor. Les autres départements se montrent intéressés, c’est presque comme la calomnie dans le Barbier de Séville !

Le développement durable ne se diffusera vraiment que de l’intérieur. C’est une démarche que chacun doit reprendre et adapter à son propre univers, à ses responsabilités, à ses pratiques. On a reproché, et à juste titre, à la HQE de ne pas avoir su contrôler ses développements, et les nombreux abus commis en son nom. On le dit souvent aussi du développement durable, trop souvent invoqué pour être honnête. Mais ce faisant, les acteurs s’approprient les instruments, fabriquent leur boîte à outils, et en apprennent le maniement, en découvrent l’intérêt et la richesse. Il faut bien sûr lutter contre les abus manifestes, les exploitations éhontées de valeurs ignorées ou même bafouées sur le fond. Mais n’aseptisons pas trop le développement durable, sinon la contagion en sera freinée. Les voies du virus sont parfois surprenantes.

Chronique publiée le 10 septembre 2007, revue le 11 janvier 2010

 

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