Chiffre
Il est bien difficile de s’extraire des chiffres. Toutes les choses de la vie sont traduites en nombre. Nombre d’années vécues, nombre d’enfants, nombre d’euros accumulés, nombre de points pour la retraite, nombre de téléspectateurs, nombre de morts dans les conflits ou les accidents de la route, etc. Ajoutons le PIB, le déficit, des chômeurs, les notes aux examens, les insectes et les tonnes de plastique, et bien d’autres choses encore. C’est la gouvernance par les nombres décrite par Alain Suppiot.
Mais tout n’est pas numérisable. Ce sont les comptables qui ont pris le pouvoir, eux qui mettent des chiffres derrière chaque tranche de vie, une opération chirurgicale comme une année de redoublement à l’école. Le temps c’est de l’argent, nous essayons de réduire la diversité du monde et des évènements que nous vivons en une seule unité, c’est tellement plus simple. Il nous faut à tout prix ajouter, retrancher, comparer, et pour cela rien de mieux que les nombres, en plus ou en moins, plus petits ou plus grands. En définitive, c’est l’argent qui émerge de cette recherche d’une unité universelle.
Le débat sur les retraites qui occupe l’actualité depuis des années, avec des périodes aigues comme aujourd’hui, offre (dramatiquement) une bonne illustration de cette dérive. Il n’est question de de durée et de montant des cotisations, du montant des pensions, du nombre d’actifs et de retraités, de ratios. Rien sur la nature du travail, sur ce que nous allons faire des années ainsi gagnées. Un débat réduit aux strict équilibre comptable, voilà ce qui nous est offert pour affronter une évolution majeure de l’humanité. Nous vivons en effet une époque extraordinaire, au sens plein du terme. Le 21e siècle sera celui où nous devons stabiliser la population mondiale, où le nombre de « vieux » dépassera celui des jeunes, et il est déjà celui où l’humanité consomme chaque année plus que ce que la planète produit.
Revenons aux retraites. Rien sur le travail, sa nature, son objet et sa finalité, son rôle social, les conditions dans lesquelles il s’exerce. Une seule exception, la pénibilité, une exception négative, qui permet de moduler à la baisse le nombre d’années de cotisation. Tout se passe comme si le travail était une corvée, que c’est une donnée intangible, et qu’il fallait en terminer le plus vite possible. Il y a pourtant des cas emblématiques qui disent le contraire. Oscar Niemeyer était encore sur sa table à dessin à 100 ans, et Pierre Soulages continue à peindre au même âge. Le travail n’est pas qu’une affaire de rémunération, c’est aussi une occupation, une occasion de s’exprimer, de voir du monde et d’entretenir des relations. Ce n’est pas réductible à quelques chiffres, nombre d’heures ou nombre d’euros. Le travail est un moment de la vie, une part importante qui commence à l’école et qui donne du sens à de nombreux choix que nous faisons tout au long de notre existence. La qualité de vie au travail est un poids lourd de la qualité de vie tout court. Si on se plait au travail, pourquoi vouloir le quitter ?
La question comptable de la durée de cotisation ignore la nature du travail, toujours mis à part la pénibilité. Comment il s’exerce, dans quelles conditions, avec qui, et pour quelle finalité. Voilà un élément essentiel du débat qui reste à la porte des négociations. Admettons que le travail ne soit pas une mauvaise chose en soi, et orientons le débat sur la manière de l’adapter à l’âge. Ne demandons pas à un vieux la même chose qu’à un débutant. Les motivations ne sont pas les mêmes, le temps fait, lui aussi, son travail. L’adaptation se porte sur la nature des tâches, les compétences mobilisées, le mode de gouvernance, les statuts, l’organisation et les horaires et sans doute bien d’autres paramètres liés aux métiers exercés. Nous entrons dans la complexité de la vie, à l’inverse du débat comptable qui la réduit à un quelques chiffres.
La retraite est un vilain mot. Il évoque une forme d’échec, un abandon. Se retirer d’une mauvaise opération est évidemment une bonne chose, mais le mieux serait que l’opération ne soit pas mauvaise, ou qu’elle puisse évoluer en fonction du contexte, évènements extérieurs ou personnels.
C’est donc un débat sur la nature du travail qui devrait être engagé, la retraite n’en constituant qu’un élément qu’il est impossible de traiter isolément sans provoquer des rancœurs. D’une manière plus générale, comment une société pourrait-elle se passer de l’apport d’un quart de sa population, qui ne serait qu’une charge alors qu’il est une ressource potentielle si l’on sait le mobiliser à bon escient ?
L’approche par les nombres est terriblement réductrice, et empêche de se poser les bonnes questions, surtout quand elle est confisquée par les financiers. Le pouvoir d’achat devient le centre des débats et empêche le pouvoir de vivre, concept au cœur de la campagne présidentielle de Brice Lalonde dès 1981, et repris récemment par Laurent Berger, de trouver toute sa place dans la nécessaire transformation de la société à l’heure du monde « fini ». La complexité de la vie mérite mieux que sa banalisation par les chiffres.
Mais tout n’est pas numérisable. Ce sont les comptables qui ont pris le pouvoir, eux qui mettent des chiffres derrière chaque tranche de vie, une opération chirurgicale comme une année de redoublement à l’école. Le temps c’est de l’argent, nous essayons de réduire la diversité du monde et des évènements que nous vivons en une seule unité, c’est tellement plus simple. Il nous faut à tout prix ajouter, retrancher, comparer, et pour cela rien de mieux que les nombres, en plus ou en moins, plus petits ou plus grands. En définitive, c’est l’argent qui émerge de cette recherche d’une unité universelle.
Le débat sur les retraites qui occupe l’actualité depuis des années, avec des périodes aigues comme aujourd’hui, offre (dramatiquement) une bonne illustration de cette dérive. Il n’est question de de durée et de montant des cotisations, du montant des pensions, du nombre d’actifs et de retraités, de ratios. Rien sur la nature du travail, sur ce que nous allons faire des années ainsi gagnées. Un débat réduit aux strict équilibre comptable, voilà ce qui nous est offert pour affronter une évolution majeure de l’humanité. Nous vivons en effet une époque extraordinaire, au sens plein du terme. Le 21e siècle sera celui où nous devons stabiliser la population mondiale, où le nombre de « vieux » dépassera celui des jeunes, et il est déjà celui où l’humanité consomme chaque année plus que ce que la planète produit.
Revenons aux retraites. Rien sur le travail, sa nature, son objet et sa finalité, son rôle social, les conditions dans lesquelles il s’exerce. Une seule exception, la pénibilité, une exception négative, qui permet de moduler à la baisse le nombre d’années de cotisation. Tout se passe comme si le travail était une corvée, que c’est une donnée intangible, et qu’il fallait en terminer le plus vite possible. Il y a pourtant des cas emblématiques qui disent le contraire. Oscar Niemeyer était encore sur sa table à dessin à 100 ans, et Pierre Soulages continue à peindre au même âge. Le travail n’est pas qu’une affaire de rémunération, c’est aussi une occupation, une occasion de s’exprimer, de voir du monde et d’entretenir des relations. Ce n’est pas réductible à quelques chiffres, nombre d’heures ou nombre d’euros. Le travail est un moment de la vie, une part importante qui commence à l’école et qui donne du sens à de nombreux choix que nous faisons tout au long de notre existence. La qualité de vie au travail est un poids lourd de la qualité de vie tout court. Si on se plait au travail, pourquoi vouloir le quitter ?
La question comptable de la durée de cotisation ignore la nature du travail, toujours mis à part la pénibilité. Comment il s’exerce, dans quelles conditions, avec qui, et pour quelle finalité. Voilà un élément essentiel du débat qui reste à la porte des négociations. Admettons que le travail ne soit pas une mauvaise chose en soi, et orientons le débat sur la manière de l’adapter à l’âge. Ne demandons pas à un vieux la même chose qu’à un débutant. Les motivations ne sont pas les mêmes, le temps fait, lui aussi, son travail. L’adaptation se porte sur la nature des tâches, les compétences mobilisées, le mode de gouvernance, les statuts, l’organisation et les horaires et sans doute bien d’autres paramètres liés aux métiers exercés. Nous entrons dans la complexité de la vie, à l’inverse du débat comptable qui la réduit à un quelques chiffres.
La retraite est un vilain mot. Il évoque une forme d’échec, un abandon. Se retirer d’une mauvaise opération est évidemment une bonne chose, mais le mieux serait que l’opération ne soit pas mauvaise, ou qu’elle puisse évoluer en fonction du contexte, évènements extérieurs ou personnels.
C’est donc un débat sur la nature du travail qui devrait être engagé, la retraite n’en constituant qu’un élément qu’il est impossible de traiter isolément sans provoquer des rancœurs. D’une manière plus générale, comment une société pourrait-elle se passer de l’apport d’un quart de sa population, qui ne serait qu’une charge alors qu’il est une ressource potentielle si l’on sait le mobiliser à bon escient ?
L’approche par les nombres est terriblement réductrice, et empêche de se poser les bonnes questions, surtout quand elle est confisquée par les financiers. Le pouvoir d’achat devient le centre des débats et empêche le pouvoir de vivre, concept au cœur de la campagne présidentielle de Brice Lalonde dès 1981, et repris récemment par Laurent Berger, de trouver toute sa place dans la nécessaire transformation de la société à l’heure du monde « fini ». La complexité de la vie mérite mieux que sa banalisation par les chiffres.
Photo Alex Hay : Unsplash
Photo d'introduction : Curtis Macnewton / Unsplash
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